Bleu

Bleu

Publiée le 07 février 2013  

Elle se coucha sur le lit, parallèlement à la fenêtre, releva sa robe de soie à fines bretelles et se débarrassa sans hâte de sa petite culotte pourpre. Elle prit sur la table de nuit le tube de lubrifiant « goût neutre » et s’en enduisit généreusement le sexe. Qu’avait-elle à faire de toutes ces nouveautés qui envahissaient le marché des onguents à usage intime ? Elle aimait l’odeur de son sexe et n’avait aucune envie de se lécher les doigts parfumés à la cerise, à la menthe ou à la cannelle.

De l’autre côté du boulevard, son voisin l’observait à l’aide de jumelles sans aucun doute d’une très grande qualité.

Le rituel avait lieu deux fois par semaine, les lundis et jeudis de quatorze à quinze heures. C’était une chance qu’il fût seul dans l’immeuble à ces moments-là, sans quoi elle n’aurait pas accepté sa proposition.

Parfois – le tarif était alors plus élevé – elle se couchait en travers du lit, offrant son sexe tout entier au regard du voyeur. Au début, elle en avait ressenti quelque gêne. Le tableau L’origine du Monde s’était présenté à son esprit. Cette femme n’avait-elle pas bravé les préjugés de l’époque en livrant au peintre l’intérieur de ses cuisses pendant des heures entières ?

D’une main légère et d’un mouvement lent, elle se mit à se caresser. Avec son index, elle dessina des arabesques sur le pourtour de ses lèvres puis atteignit ce bout de chair qui l’amenait si aisément à la jouissance. Quand elle sentit les premiers frémissements du plaisir – l’homme l’avait priée de prendre son temps – elle s’arrêta et frotta son doigt tout humide sur sa poitrine. Elle avait des seins qui formaient deux petits monticules harmonieusement arrondis.

Après quelques instants, elle revint à son clitoris pour le titiller à nouveau et laisser les sensations agréables l’envahir davantage. Plusieurs fois, elle s’arrêta pour ne pas partir trop vite et freiner l’arrivée de l’orgasme qui devenait de plus en plus difficile à maîtriser.

Jamais elle n’avait cherché à le deviner derrière la fenêtre. Il lui avait raconté que, pendant qu’il la regardait, c’étaient ses yeux qui bandaient, il ne se touchait pas, il préférait se concentrer sur elle pour la voir se trémousser de plaisir quand, enfin, elle se laissait aller. Pour elle, la jouissance était d’autant plus forte que les pauses qu’elle s’était imposées avaient été nombreuses. Alors, il quittait la fenêtre, se rendait à la salle de bains et se masturbait en pensant à elle. Il regardait son sperme se mêler au jet de la douche et en tirait une certaine fierté.

Ce n’était pas toujours aisé pour elle d’avoir envie de s’exposer à l’heure qui lui convenait, à lui. Souvent, quelques minutes avant le rendez-vous, il lui arrivait de visionner des séquences sur son ordinateur. Elle choisissait des scènes érotiques entre femmes.

Elle aimait les voir s’étirer avec indolence, coquetterie et commencer à se caresser mutuellement le sexe. Petit à petit, elles changeaient de position. Les langues ouvraient les vulves et s’engouffraient dans ces petites chairs molles au bout desquelles se dressait le clitoris. Elles le léchaient et l’aspiraient dans leurs bouches gourmandes. Des contorsions et des gémissements de plaisir accompagnaient leurs gestes. Certaines femmes se couchaient l’une sur l’autre, ouvraient grandes leurs lèvres et se frottaient sexe contre sexe en s’embrassant avec passion. Leurs croupes ondulaient tandis qu’elles explosaient de plaisir.

Certains jours, elle utilisait un godemiché d’un modèle particulier, en forme de S pour stimuler le point G. Elle imaginait que la pénétrait un jeune homme mince et musclé, au visage séraphique, doté d’un beau sexe agréablement proportionné, bon à toucher, à embrasser. Un de ces mâles à la fois virils et tendres qu’on voyait sur les publicités d’eaux de toilette ou de rasoirs ultra performants.

Elle le sentait en elle aller et venir d’un mouvement régulier d’abord lent, puis rapide au fur et à mesure que le plaisir montait. Alors elle ne pouvait s’empêcher de crier un prénom : « Paul, oh Paul, viens, je t’en prie, ne me lâche pas. » Elle en oubliait le voisin d’en face qui pourtant ne la quittait pas des yeux, se laissant emporter par son transport à elle.

Un jour, elle trouva un mot dans sa boîte aux lettres : « Venez chez moi demain à dix-huit heures. Vous porterez des sous-vêtements bleus. Soyez sans crainte. »

Bleu, une couleur qu’elle n’aimait pas beaucoup et qui lui rappelait l’uniforme qu’elle avait porté pendant des années à l’école. Elle fit tout de même les boutiques et trouva une parure bleu nuit qui la charma, surtout la guêpière aux lacets turquoise. « Elle est faite pour vous, dit la vendeuse. Quant au soutien, c’est un modèle juste pour jouer. » Le verbe « jouer » la fit sourire. Il traduisait bien, sans fioritures, l’usage de ces dessous.

Elle vint à l’heure et il l’accueillit d’une poignée de main vigoureuse qui lui fit légèrement mal. Ils traversèrent un hall sombre où elle devina, accrochés au mur, d’imposants masques africains.

Ils pénétrèrent dans un salon baigné d’une douce lumière. Les meubles de style, les murs tendus d’un tissu ocre, les tentures en soie beige témoignaient d’un raffinement qui lui plut mais ne l’étonna pas. Quand elle l’avait rencontré dans la librairie, où il lui avait fait sa demande, il était habillé avec une élégance volontairement désinvolte.

Sans un mot, il l’emmena dans une chambre où tout était peint dans un dégradé de bleu. Il y avait pour unique décor, outre le lit et deux petites tables de nuit, une peinture d’Yves Klein.

— Faites glisser vos vêtements sur le sol, dit-il.

Sa robe tomba par terre et elle l’enjamba d’un mouvement gracieux qui fit effet sur lui. Il s’approcha et se mit à genoux au niveau de son sexe qu’il respira profondément. Puis il s’éloigna et elle le vit commencer à pleurer.

  — Laissez-moi, commanda-t-il.

Elle quitta la chambre sans reprendre sa robe et vint dans le salon. Elle s’étendit sur le divan et écouta les sanglots de cet homme qu’elle ne connaissait pas. Elle en fut émue et pour la première fois, elle pensa qu’elle avait affaire à quelqu’un de vivant. Jusque-là, il s’agissait d’un contrat commercial et l’homme derrière la fenêtre avait quelque chose d’irréel.

Après quelque temps, il vint la rejoindre au salon. Elle se redressa et s’assit, le regarda : il portait un peignoir bleu clair qu’il avait laissé grand ouvert et qui dévoilait sa nudité.

— Venez, dit-elle.

Elle lui offrit son corps. Il ne lui enleva pas son slip mais l’écarta délicatement de ses doigts pour glisser son sexe dans le sien. Il n’eut aucun mal à la pénétrer profondément, son sexe était humide, un peu d’écume affleurait sur les poils de son pubis. Il se pencha pour lui embrasser la poitrine qu’il dénuda à moitié. Elle aima cette étreinte. Il remuait en variant la cadence et toujours avec vigueur. Son sexe à elle enserrait le sien, elle imaginait que son vagin avait des yeux et qu’elle voyait le gland, la peau fine de son membre, les nervures, les veines. Les sensations qu’elle ressentait n’en étaient que plus fortes.

Quand il se rendit compte qu’elle commençait à jouir, il se retira et la fit se retourner sur le ventre. Il retira le slip pour découvrir ses jolies fesses qu’il caressa, puis il la pénétra sans brusquerie. Il eut un mouvement rapide qui les fit jouir ensemble et pousser un râle de plaisir. Il se laissa alors tomber sur elle, repu, et lui embrassa le cou, les oreilles, les cheveux. Elle sourit sans qu’il la voie. Ils se turent un moment.

— Je m’en vais dans quelques jours pour une longue période, lui dit-il. Je pense que nous ne nous reverrons plus. Je vous laisse une enveloppe pour vous permettre de vous offrir ce dont vous avez peut-être envie depuis longtemps. Vous m’avez permis d’alléger quelque chose d’encombrant, d’effacer comme un doute. Le chemin que j’ai pris peut vous paraître étrange mais quand je vous ai vue, j’ai pensé que je pourrais le faire avec vous. Je ne me suis pas trompé. La salle de bain se trouve au bout du couloir. L’enveloppe est sur le lavabo. Allez vous rafraîchir si vous le voulez et puis rentrez chez vous… Le bleu vous va très bien.

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Cette nouvelle est extraite d'un recueil de neuf nouvelles, Couleurs, écrit par Coline Mauret et publié chez Onlit Editions

Vous y retrouverez un jeune couple, fasciné par les bonbons ; une femme âgée, très expérimentée ; une danseuse, appelée au chevet d’un moribond ; un voyeur, décidé à résoudre un problème ; une veuve, surprise par des fantasmes le jour de l’enterrement de son mari…
Dans un style incisif et rythmé, Coline Mauret, l’auteure de ces nouvelles érotiques, met en scène des personnages qui se croisent, se dévoilent, se caressent et s’envoient en l’air. Rien de pervers ni de déviant mais une palette haute en couleurs de désirs et de plaisirs partagés.

Le tout pour 1,99€ seulement, soit à peine le prix d'un ticket de métro ! Alors, qu'attendez-vous ? Découvrez ces neuf délicieuses nouvelles chez Onlit Editions.

 

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Par Irina Du Bois Sainte Marie

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