Rose de B.

Rose de B.

Publiée le 25 avril 2013  

Ce texte de 1938 est un extrait de l'oeuvre de François Bernouard, parue sous le titre de Rose de B. Contribution à l'étude de la sensibilité et de la sensualité pendant la guerre de 1914-1918.

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Depuis sept heures du matin, Vincent est à Paris, chez lui.

« Dois-je aller tout de suite chez Mme de B., visite pénible, ou attendrai-je le dernier jour? »

ll sort de son bain, s'habille, et les reliques de Lucien pèsent dans sa poche. Il les pose sur un secrétaire; il les regarde, toujours indécis.

« ll est dix heures, se dit-il; si je prends un taxi, j'arriverai chez elle à dix heures et demie. »

Il reprend les menus objets et part exécuter sa funèbre corvée.

L'ascenseur dépose le soldat au quatrième étage; maintenant qu'il se trouve devant la porte, son cœur bat, il hésite; enfin, il sonne; il entend vibrer le timbre de l'autre côté; il se sent un peu libéré; il prépare les phrases qu'il dira; il entend déjà les pleurs de la jeune veuve, peut-être des sanglots. Une jolie soubrette ouvre :

— Je suis, dit-il, Vincent Roger; je désire voir Mme de B. D'ailleurs, elle m'attend un de ces jours.

La bonne l'introduit dans un salon dont les fenêtres dorment sur le beau jardin du Luxembourg; il regarde les meubles : un piano à queue sur lequel se trouve le portrait de son camarade avec sa femme, le jour de leurs noces, un beau canapé et des chaises style Louis XVI; aux murs, des tableaux de Bouguereau, Bonnat, Detaille, puis un Christ genre rue Saint-Sulpice.

Soudain, Vincent entend un bruit de serrure; il se détourne, la porte craque, s'ouvre; une ravissante femme paraît, très pâle, vêtue d`un peignoir orange; elle tend la main à son visiteur qui, très troublé, la baise. Lorsqu'il relève la tête, elle fixe ses regards dans les yeux du soldat; elle sent, et ne comprend pas, son corps frissonner; elle regrette d'avoir reçu le camarade de son mari en peignoir et, d`un geste inconscient, ramène son vêtement sur sa gorge... Rose offre un siège à son visiteur, en s'excusant de son négligé. 

— Mais, dit-elle, je ne voulais pas que vous m`attendiez (en vérité, elle ne pensait pas trouver en ce soldat un homme du monde), puis aussi, dit Mme de B., votre nom m`a tellement émue.

D'un geste gracieux, d`un mouchoir de fine batiste, elle essuie des larmes qui perlent aux bords de ses beaux cils.

Maintenant, tous les deux sont extrêmement gênés, peinés; les mots ne viennent plus; pendant un long silence, les deux jeunes gens s'observent; chacun rajuste ce qu'il supputait de l'autre, d'après leurs correspondances. Ils se jugent.

Pour le soldat, Mme de B. semble âgée de vingt-cinq ans, de taille plus élancée qu'il ne pensait, d'une parfaite éducation, par cela même déformée; elle prend à témoin des êtres imaginaires (la galerie de ce qu`elle dit, ou de ses gestes).

Pour Mme de B., son visiteur lui paraît mieux que ce qu'elle supposait. Elle comprend davantage ses lettres, elle le trouve racé; sa timidité ainsi que son air triste lui donnent un charme.

Pendant ce temps, lentement, Vincent sort de sa poche un petit paquet.

D'abord, il défait le nœud d'une ficelle, puis il déplie un papier très blanc et remet à Mme de B. l'alliance où se trouvent gravées à l'intérieur les dates de leurs fiançailles, « juin 1912 ››, et celle de leur mariage, « février 1913 ››, puis sa Chevalière, portant les armes de ses aïeux, diverses médailles de saintes et de saints, un scapulaire et son portefeuille bourré de lettres et de photographies.

Mme de B. d'abord soupire, puis pleure, et maintenant sanglote; de temps en temps, elle essuie ses larmes. Vincent se trouve aussi très troublé; d'un geste machinal et sans raison, elle compte les médailles; lui se lève, cherchant un moyen de partir en respectant la douleur de la femme de son camarade; elle ne sait quelle contenance prendre; par courtoisie, elle lui montre la photographie de son mari; il se penche; il est très ému; puis il sent qu'il se virilise, son haleine chaude embrase la nuque de la jeune veuve dont les entrailles s'émeuvent. Il sent tout le parfum de la volupté de la belle femme qui monte vers lui, emprisonne sa pensée; il se sent prêt pour l'aimer; son esprit chavire; il veut fuir, mais son être devient fiévreux de désirs et le rend fébrile; ses regards ne peuvent se détacher de cette admirable nuque de blonde; tout, autour de lui, disparaît. Il ne voit qu'elle.

Il oublie tout ce qu'il sait des convenances et sa main, brûlante de désirs amoureux, se pose sur cette nuque fraîche qu'il arde de sa passion. 

Mme de B. d'abord ne comprend pas, cependant qu`elle éprouve une immense joie dans tout son être; cette main l`a troublée; elle veut reprendre ses esprits, se lève, veut être indignée; le portefeuille tombe â terre; dans sa main droite, elle serre les médailles; elle tourne son beau visage vers Vincent qui défaille; ses regards s'irritent, elle ne trouve pas un mot â prononcer, tant elle se conçoit insultée; puis elle trouve dans son inconscient une indulgence, voyant le visage de Vincent si douloureux, tant de honte dans ses regards qui semblent lui exprimer qu'il se sent malheureux, qu'il regrette son geste dont il se reconnait très responsable. Soudain, Rose ne voit plus en lui qu’un héros et son charme l'enchaîne; elle baisse ses pâles paupières; enfin, ne se possédant plus, elle avance son menton vers le jeune homme; sa langue mouille ses belles lèvres qu`elle tend à Vincent, laissant tomber à terre les médailles bénies.

Le soldat s'empare presque brutalement de Mme de B.; il colle sa bouche sur ses lèvres; immédiatement sa main droite glisse le long de la nuque de Rose qui s'extasie, il la serre sur sa poitrine; elle se trouve heureuse, leurs langues maintenant émeuvent tous leurs sens; la paume de la main gauche passe sur son sein émouvant de douceur et ferme, maintenant descend sur son ventre, sa chemise se déchire, il touche un poil frisé si fin qu'il lui semble un duvet; il comprend que Rose se prête à ses caprices; les doigts du soldat se mouillent voluptueusement; à cette sensation, Mme de B. tressaille, elle va perdre l'équilibre; ses bras s'enroulent autour du cou du jeune homme; son souffle change de rythme; elle geint faiblement; sa main droite quitte le cou de son amant, descend; une chaleur lui brûle la main; doucereusement, elle se laisse défaillir sur le canapé.

Vincent la suit, elle le guide; il sent une chaude moiteur. Est-ce le trop de désir, le manque d'habitude, leur chaleur réciproque? Déjà, il s'abandonne, la jeune femme laisse dolemment tomber sa tête à droite et chacun de ses bras d'un côté du canapé, brisée par une émotion qu'elle ne connaissait pas. Vincent continue à goûter ses joies; bientôt, sa raison le reprend; depuis qu`il caresse Rose, il ne l'a plus vue; il regarde la plus belle des femmes, pâmée; sa chemise déchirée lui permet de découvrir un corps admirable; sur ce peignoir orange, il détaille un sein ambré, beau comme une pomme, avec une petite pointe gracieuse qui semble une églantine â peine éclose; son visage ravissant se divinise; il sent maintenant que ses spasmes se terminent, que sa virilité, sans quitter sa maîtresse, décroît, cependant que, de temps en temps, par son fluide, Rose se rétracte, comme pour le remercier, et leurs deux corps sans cesse s'enamourent.

Aucun des deux amants ne savait ni ne pouvait rompre cette émouvante union. Rose n'osait ouvrir les yeux, de peur de le regarder, pourtant elle le désirait. Vincent, par contenance autant que par plaisir, baisait ses yeux, ses oreilles, son cou; les doigts de Rose erraient dans les cheveux de son amant. Soudain elle attire sa bouche sur la sienne; ils distillent des baisers nombreux; elle entr’ouvre ses belles petites dents blanches; leurs langues se conviennent, se caressent; il l'aspire et la boit; tout le corps de cet ange se révulse; il s'appesantit un peu sur elle.

Les sentiments et les chairs des deux amants se pâmaient; pourtant, chacun souffrait en son esprit; tous deux se sentaient coupables et jugeaient leur conduite indigne.

Vincent prend la jolie pointe du beau sein de sa divine maîtresse dans sa bouche; il sent qu'elle se durcit; il aspire, puis le caresse avec sa langue. A cette seconde, Rose sent qu'il se revirilise; tout en elle se contracte; tout son corps court à la rencontre de son amant et de nouveau le réchauffe; le rythme de son souffle change; ses bras entourent le cou de Vincent; sa bouche s'ouvre; sans qu'elle s'en rende compte, elle ose ouvrir les yeux et trouve son amant si beau qu'elle se sent défaillir et tout son corps transpirer; maintenant il danse langoureusement; elle l’accompagne; leur rythme devient celui de l'univers; la pureté de leur passion sanctifie leur bonheur. Vincent éclate comme un bourgeon au printemps. Rose ne peut prononcer que des sons, sans force; il choit doucement sur sa maîtresse, baisant son visage avec reconnaissance; elle lui rendait chacun de ses caprices avec félicité.

 

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