Fenêtre sur couple

Fenêtre sur couple

Publiée le 28 mai 2013  

Je me précipite dans la salle de bains, instinctivement pour me refaire une beauté ; j’en ai tant besoin... Fébrile, le pouls erratique, je m’efforce d’occulter les images traumatisantes que je viens de voir par accident dans le viseur de la longue-vue de mon fils. Celles de mon ex-époux, embrassant passionnément sa jeune maîtresse. Des images en gros plan malgré les deux cents mètres de distance qui nous séparent.

Trop puissante, la lunette optique de Damien !

Mon exclamation intérieure est d’une dérision horrifiée.

À quand remonte la dernière fois où Loïc m’a embrassée aussi longtemps et amoureusement ? Une éternité. Cette réalité me soutire un spasme gastrique. Je ne suis plus qu’une crampe de douleur au-dessus du lavabo : ma mémoire ne cesse de rediffuser sur la toile de ma conscience la séquence indécente de ce baiser passionné entre mon ex et ma suppléante ; ma doublure en cadette. Cette analogie m’arrache une nouvelle contraction stomacale. D’autant que je revois le visage de cette femme, plus jeune que moi d’au moins… vingt ans.

Cette vérité m’assène un autre coup dur à l’estomac. Je dois stopper net cette obsédante projection interne, censurer les images lancinantes de ce baiser charnel entre mon ex et cette nouvelle, avant de ne plus pouvoir tenir debout. Je me sens émétique, à la limite du malaise, comme si j’étais enceinte, moi qui ne suis physiologiquement plus en mesure de l’être. Et qui m’aurait mise en cloque, moi qui n’ai plus fait l’amour depuis… Je m’adresse un pâle sourire indulgent, pas encore prête à porter le cilice.

Je passe de l’eau fraîche sur mon visage brûlant, comme pour purifier mon âme marquée au fer rouge, comme pour effacer de mon esprit incendié toute trace de mon traumatisme visuel et cérébral. Je sens un poids terrible peser sur les épaules ; me trouve brusquement vieille alors que je n’ai que quarante ans. Jambes qui tremblent. Cœur qui palpite dans mes tempes enflammées. Dans ma conscience toujours sous tension, Loïc embrase la bouche de ma remplaçante avec une fougue croissante ; un authentique baiser de cinéma.

Bien trop cinématographique, cette étreinte. Je me demande si je n’ai pas inventé cette séquence, si je n’ai pas été victime d’une vision, d’une hallucination provoquée par l’un des effets secondaires de l’anxiolytique, qui aurait également déclenché mes nausées matinales. Possible. Fort possible. Cette perspective calme mes pulsations cardiaques. Remet mon estomac en place.

Je vérifie si l’anxiolytique me déclenche réellement de troubles visions érotiques ou si j’ai véritablement vu Loïc embrasser ma remplaçante par le biais de la longue-vue de mon fils. Je parcours la notice, lis le paragraphe concernant les effets secondaires. Les visions érotiques n’en font pas partie.

Je retourne dans la chambre de mon fils. M’approche de cet appareil optique censé observer de très près les oiseaux dans les arbres (depuis le pylône en bois sur lequel Loïc a l’habitude de tirer sur les tourterelles), et accessoirement observer de très, très près, les gens derrière leurs fenêtres – le dernier cadeau de son père, cette lunette. Un achat de qualité : une longue-vue terrestre Eden Optic TA 10039, avec zoom grossissant 20-60 X, muni d’un objectif de 60 mm, plus un sac à dos spécial. La puissance d’un télescope alliant la mobilité d’une paire de jumelles. Tout devient si proche que l’on a l’impression de pouvoir tendre la main et de toucher soit un joli oiseau, soit une bonne paire de fesses. Idéal pour les amateurs d’observations animalières, ou les mateurs de tous poils.

Voilà que je me projette de nouveau deux cents mètres plus loin. Je me retrouve visuellement dans le salon de l’ex. Comme si je me trouvais téléportée au centre de cette pièce encore à peine meublée, à peine habitée. Mon intrusion dans son espace personnel a l’air si réelle que je refoule un mouvement de recul. Loïc pourrait légitimement m’accuser d’attentat à la pudeur s’il me surprenait en train d’espionner son intimité. Mais de quelle manière pourrait-il me surprendre en train de l’observer, si ce n’est en m’espionnant lui-même depuis son appartement par le biais d’une longue-vue ? Toujours est-il que je ne vois plus mon ex embrasser ma remplaçante dans le cadre de sa visée. Je surprends bien pire : Loïc baisant ma doublure.

C’est moins Loïc que je reconnais dans cette vision volée – il me tourne le dos – que le visage de ma remplaçante en pleine jouissance. Visage que j’aperçois par intermittence, comme s’il était à dix centimètres du mien. Le masque de son plaisir semble moulé sur le mien. Mais pas mon visage d’aujourd’hui. Non. Mon visage d’antan, celui d’il y a vingt ans au moins. L’ex semble avoir également rajeuni de deux décennies entre ses jambes : sa puissance rénale est animale. Je peux presque sentir l’effluve mixé de leur rut matutinal. Presque toucher, palper, malaxer leurs chairs attisées. Au point que je suis à deux doigts de les déboîter l’un de l’autre. Quant à leurs râles conjoints, ils me résonnent dans les tympans. Et je m’imagine logiquement prise par lui…

Des lustres que je n’ai pas eu l’impression de vibrer aussi fort sous ses assauts bestiaux. Que je n’ai pas eu la sensation d’autant griffer ses fesses avec mes ongles longs. Que je n’ai pas eu autant le sentiment d’enserrer ses reins creusés de mes jambes fuselées. Que mes orteils n’ont pas été autant tétanisés par son magnétisme masculin. Que mon bas-ventre n’a pas été aussi creusé par son organe pénien. Que je n’ai pas eu autant envie de chialer dans la jouissance. Divine virtualité…

Au final, c’est ma douleur de femme abandonnée que je hurle dans la chambre de mon fils, parti au collège. Leur orgasme, à la fois si présent et lointain, m’explose aux oreilles à la façon d'un bâton de dynamite dans une bouffée de soufre. Mes sens vitaux éclatent ; je suis momentanément sourde et aveugle. Petite mort cérébrale…

Je titube jusqu’à la cuisine. Comme si Loïc venait de me faire l’amour (ou plutôt de me baiser) avec fougue. Lui (nous) qui n’avons jamais été du matin, niveau câlins – ni même du soir d’ailleurs, ni encore moins de l’après-midi. Sauf quand nous avons dû concevoir Damien. Là, nous sommes devenus des stakhanovistes du coït.

J’ai besoin d’un calmant. Une seconde dose de mon médoc contre la dépression fera l’affaire, puisque je sais maintenant qu’il n’est pas la cause secondaire de mes visions érotiques. J’opte finalement pour un remontant ; un bon ballon de médoc. Une grande première, à neuf heures du matin.

Le vin me fait du bien. Relativise ma détresse. Atténue ma panique plus vite qu’un anxiolytique. M’aide à faire le point, à remonter la bande vidéo de ma mémoire visuelle.

Flash-back.

Une fois Damien en route pour le collège, je gagne sa chambre. Mon but : mettre un peu d’ordre sur son bureau. Je pense aussi aux plats cuisinés que je dois photographier pour un magazine culinaire haut de gamme quand, par pur réflexe professionnel, je me retrouve à coller l’œil au viseur de cette lunette fixée sur trépied, lunette qui ressemble tant aux appareils photos munis de téléobjectifs que j’utilise tous les jours. Longue-vue braquée comme une provocation devant la porte-fenêtre qui ouvre sur l’horizon et au moyen de laquelle j’entre par effraction dans l’intimité de l’appartement que l’ex vient enfin de trouver et de louer au huitième et dernier étage de l’immeuble moderne situé à environ deux cents mètres de mon propre appartement – qui est également situé au huitième étage et qui donne droit sur ses trois baies vitrées, une pour chaque pièce principale – salon + deux chambres. Trois-pièces loué par Loïc afin de rester en étroit contact avec Damien. L’ex, que je surprends avec la longue-vue de mon fils. Ancien mari jadis si peu exubérant, que je découvre pourtant en pleine effusion. Ex-mari mesuré que je distingue, sous un nouvel angle, en train d’embrasser goulûment ma remplaçante, vingt fois plus excitante.

Je me sers un autre coup de médoc. La chaleur qu’il dilue dans mon cœur se propage tout au fond de mon ventre asséché depuis des mois, voire des années. Mon cortex rediffuse au ralenti la séquence entre l’ex et ma doublure. Une exhortation trouble m’envahit. Mon esprit, soudain désinhibé par l'alcool, me livre des images inédites de leur sauvage union physique. Je constate combien Loïc trique pour cette jeune femme. Combien ses bourses sont comprimées par le désir qu’elle lui inspire. Combien les veines de sa verge sont gonflées. Combien il est congestionné en coulissant crânement dans le minou étroit de ma remplaçante. Minou que j’ai eu jadis aussi étroit et tonique qu’elle. Avant Damien. Avant qu’il se transforme en chatte, au fil de temps qui passe. Ce fichu temps qui relâche et avachit tout sur son maudit passage. Avant que ce foutu temps ne dilate ma vulve plus définitivement qu’un ramonage permanent effectué par le plus membré des amants. Je découvre également que la poitrine de ma remplaçante est plus ferme que la mienne. Que ses mamelons sont plus tendus. Que ses lèvres vaginales sont moins fripées. Que ses jambes sont plus fines. Que son ventre est plus plat. Que ses fesses sont plus rondes. Que ses cuisses sont moins flasques. Que les lèvres de sa bouche sont plus pulpeuses. Que sa peau est plus éclatante. Que ses dents sont plus blanches. Que ses cheveux sont plus soyeux. Que ses yeux sont plus brillants. Que ses mains sont moins ridées. Que ses pieds sont plus fins. Gorgées de vin !

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Pour en savoir plus sur le talentueux Guillaume Perrotte, relisez son interview d'auteur érotique. 

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