Sans-Nichon, Cendrillon érotique

Sans-Nichon, Cendrillon érotique

Publiée le 04 avril 2013  

Chapitre premier

La Jouisseuse-étoile

Il était une fois un gentilhomme un tantinet réactionnaire, dont la femme avait pris l'autoroute à contresens et s'était fait aplatir comme une crêpe par un trente tonnes. « Pas très malin », me direz-vous, lecteur, et sur ce point particulier je ne puis vous donner tout à fait tort. Des fois, on serait mieux inspiré de prendre le train. Toujours est-il que le veuf se trouvait un peu jeune pour faire vœu de chasteté et qu'il se mit à chercher une seconde épouse, dès que les obsèques de la première eurent été expédiées. Il est vrai que feue Madame sa moitié n'avait pas grand-chose pour elle : intelligence limitée, culture inexistante, talents culinaires très approximatifs et physique à la va-comme-je-te-pousse.

Le gentilhomme, pour se donner bonne conscience, se répétait qu'elle n'avait été qu'une simple erreur de jeunesse ; et qu'il saurait, avec la prochaine, rattraper son choix malheureux. C'est ce qu'il fit, et à la vitesse grand V encore : en moins de cinq minutes, rendez-vous fut pris avec la première candidate proposée par l'agence matrimoniale — et accord conclu sur un coin de table, au bistrot du quartier. Limite ? Sans doute, mais vous connaissez déjà la chanson : à limite, limite au carré. Mais c'est une autre histoire. Revenons-en à celle qui nous occupe.

Le gentilhomme avait eu une fille de son premier mariage ; il s'était donc mis dans le crâne que la candidate aux ré-épousailles devrait elle-même avoir quelque progéniture, afin d'assurer un certain équilibre (et, officieusement, de payer moins d'impôts — il n'y a pas de petits profits, prétendait-il). Il fut dès lors très satisfait que Madame Seconde ait non pas une, mais DEUX filles d'un premier lit : l'affaire était excellente, d'autant que la nouvelle tribu féminine qu'il se proposait d'accueillir chez lui offrait une plastique suprêmement agréable à regarder. Qu'on en juge : la mère, à peine quarante ans (soit dix ans de moins que la malheureuse aplatie) ; les filles, respectivement dix-huit et seize ans ; et toutes blondes, et toutes ravissantes, et toutes pulpeuses de la croupe et du balcon. En un mot : un triple fantasme de pater familias à elles toutes seules. Le gentilhomme se frottait déjà les mains de satisfaction : mater ses belles-filles, pratiquer activement sa nouvelle femme, payer moins d'impôts... que demander de plus ?

La seule qui eût à se plaindre de la nouvelle situation était bien entendu la propre fille du gentilhomme, une gamine de dix-sept ans tout juste, qui ne vit pas d'un très bon œil l'arrivée dans ses pénates de deux coquettes de basse-cour, accompagnées de leur poule pondeuse. Il est vrai qu'entre ses demi-sœurs et elle, la différence était si radicale et si complète qu'il était positivement impossible qu'une bonne entente se mît en place, n'eurent été les circonstances, déjà bien peu propices au copinage spontané.

La haine qui s'abattit comme une chape de plomb entre les enfants si dissemblables de cette famille recomposée fut de ce fait immédiate et inextinguible. Dès les valises posées, Javotte et Anastasie, les deux blondinettes, avaient rebaptisé leur demi-sœur « Sans-Nichon », afin de souligner fort sournoisement le misérable 75A de la gamine, qui faisait à la vérité bien pâle figure, comparé au 95C triomphant des deux autres. Qu'on se représente l'ambiance, dès le lendemain : prenant évidemment fait et cause pour ses propres filles, la marâtre se hâta de reléguer Sans-Nichon dans le grenier et de procéder à l'Anschluß pur et simple de sa chambre, à seule fin de la transformer en dressing-room pour Javotte et Anastasie.

Le gentilhomme, tout hypnotisé par les appâts plantureux de Madame, laissa mettre sa fille au rencart sans le moindre état d'âme. Il faut bien le dire : la gamine lui rappelait sa première épouse, physiquement tout du moins ; et ses beaux yeux noirs, pleins de reproches muets, lui gâchaient régulièrement ses digestions, qu'il avait laborieuses.

Mais enfin, pour Sans-Nichon, il valait tout de même mieux d'être un peu à l'écart ; Javotte et Anastasie ne cessant de miauler comme deux chattes, sur fond de R&B débile et de cavalcades fort vaines entre leur chambre et la majestueuse psyché de la salle de bain, puis retour. Sous ses allures de garçon manqué, Sans-Nichon était quant à elle une jouisseuse-étoile, une amoureuse éperdue des plaisirs charnels, une stakhanoviste absolue de l'auto-érotisme. Elle avait un don inné pour la luxure, une délicatesse naturelle si vive et si raffinée qu'elle était capable de composer de véritables chefs-d'œuvre orgastiques à main levée, si vous me passez l'expression.

Sans désemparer dans l'exil, elle s'aménagea un boudoir de fortune dans le fond du grenier vétuste, entre deux pans de velours cramoisi, qu'elle arrangea en un lit à la Polonaise digne des plus coquines compositions du grand François Boucher. Pour parfaire ce savant drapé, elle exhuma de vieilles caisses deux appliques Louis XV de fonte argentée, quelques chandeliers d'étain, de vieux draps de batiste brodée, de profonds coussins de plumes d'oie et sauva tout ce qu'elle put de son ancienne chambre : ses livres, son matériel hi-fi et ses disques de musique classique.

— Qu'ils aillent tous se faire foutre ! décréta Sans-Nichon avec un rictus satisfait, puis d'ajouter : Et bon débarras !

En théorie, les choses auraient pu en rester là ; le compromis n'étant pas si mauvais. Sans-Nichon alluma quelques chandelles, parfuma le grenier en chauffant un peu d'absolu de jasmin au bain-marie, choisit un disque de Charpentier et se lova avec grâce dans la tiédeur de son lit. Elle se déshabilla, en prenant bien son temps ; sa longue jupe de bohémienne tout d'abord (elle était restée un rien hippie, bien que l'époque ait été de longtemps révolue), son slip de satin peau d'ange, sa chemise de broderie anglaise enfin, sous laquelle il lui était bien inutile de porter un soutien-gorge, évidemment.
Sur la blancheur passée des draps, le corps de Sans-Nichon mettait des creux exquis ; elle avait la poitrine toute menue, certes, mais d'une fraîcheur irrésistible ; avec sa rondeur à peine ébauchée, sa texture laiteuse et la finesse parfaite des tétons, qui mettaient à l'ensemble comme deux minuscules boutons de rose. Elle était à peindre, comme on le disait à une certaine époque, avec ses hanches pleines, son visage mutin et ses yeux d'un noir d'encre ; on eût dit une échappée de petite-maison, telle sans doute les adorables créatures qui avaient inspiré les nuits du XVIIIe siècle libertin.

Lorsque les premiers accords de la sonate Les Plaisirs de Versailles résonnèrent dans le grenier, Sans-Nichon ferma les yeux et porta d'amoureuse manière la main à sa bouche, puis elle embrassa tendrement ses doigts, un à un, en guise de bienvenue au plaisir.

Elle n'eut pas l'occasion de poursuivre, hélas, car sa marâtre fit irruption dans la pièce, sans même prendre la peine de frapper.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Mais ! MAIS ! MAIS TU TE BRANLES, PETITE SALOPE ! s'exclama la virago, toute en fureur.

Sans-Nichon ravala les sarcasmes qui lui montaient aux lèvres, reprit ses vêtements et se rhabilla, avec une indifférence blasée qui acheva de mettre sa marâtre en pétard.

— Tu n'es qu'une vicieuse, c'est tout à fait dégoûtant ! Ton père sera prévenu, crois-moi, sale petite traînée ! Et pour t'apprendre à vivre, désormais tu t'occuperas du ménage, de la cuisine et du linge. Allez, hop ! Au boulot ! ET TU COMMENCES PAR LA CHAMBRE DE TES SŒURS, TU AS COMPRIS ?!

Sans-Nichon, qui était déjà à la porte, se retourna calmement.

— Oui, Madame ma mère, murmura-t-elle en faisant une petite révérence espiègle.

Puis elle fila sans demander son reste, car « Madame sa mère » était déjà prête à lui coller deux baffes.

Chapitre II

Une Résistance érotique

Dès ce moment, la vie de Sans-Nichon se mua en un exercice de cache-cache perpétuel. Farouchement déterminée à ne céder en rien sur ses plaisirs, la gamine mit toutefois un point d'honneur à accomplir toutes les tâches ingrates dont l'accablaient sa marâtre, ses demi-sœurs — et même son père, à l'occasion. Comme elle était loin d'être idiote, elle devint rapidement une véritable experte ès arts ménagers, qui expédiait le pliage du linge en inventant des raccourcis euclidiens révolutionnaires, divisait les temps de cuisson par trois, grâce à de savants trempages nocturnes, et perfectionnait les balais standards avec la maîtrise technique d'un ingénieur civil. Jamais la maison ne fut mieux tenue, et à si peu de frais. La justice aurait exigé qu'on lui en tînt crédit, mais hélas elle eut beau s'escrimer, les rebuffades et les humiliations continuèrent de pleuvoir quotidiennement. Sans-Nichon toutefois prenait son mal en patience, et marmonnait, à chaque insulte :

— Ouais, c'est ça, cause toujours... Dans 341 jours, je suis majeure, attends un peu...

Dans les instants de solitude, entre deux mannes de linge et un récurage des cuvettes de WC, elle ne se privait jamais de prendre tout le plaisir possible, de préférence dans le lit de ses demi-sœurs, dont elle parfumait les draps de cyprine et de sueur lascive, en se torchant délibérément dedans, après l'orgasme.

— Ça au moins, ça vous changera de votre brume d'oreiller à la vanille, les pisseuses, rigolait-elle en repliant les lits au carré.

La salle de bain était également un lieu propice aux jouissances clandestines de Sans-Nichon. Elle s'y rendait vêtue d'un tablier de coton, sans rien dessous, et, dès qu'elle était seule, elle envoyait tout valser et s'asseyait dans un crapaud en face de la psyché de Mesdemoiselles ses demi-sœurs. Elle posait ensuite les pieds sur les accoudoirs et se renversait en arrière, puis elle contemplait tendrement son intimité, la seule alliée qui lui restât dans l'opprobre général.
Elle se caressait pour finir, des heures durant, explorant en esthète jouisseuse les possibilités offertes par les objets les plus divers : houppettes en plume de cygne, dont se servait Madame sa mère pour se poudrer le nez, blaireau en poil de martre de Monsieur son père, raisins de rouge à lèvres, savons parfumés, flacons de cristal glacé, tiédeur de serviettes moelleuses ; tout ce qui, enfin, servait son étude des mille et un plaisirs de la chair. Aucun centimètre carré de peau n'échappait à ses arpèges érotiques, de telle sorte qu'en moins de deux mois, elle parvint à une virtuosité stupéfiante, sans avoir reçu la moindre éducation en la matière. C'était, disons-le tout simplement, une enfant prodige de l'érotisme.

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Chers lecteurs, vous venez de découvrir un extrait de Sans-Nichon ou La Petite Biroute de verre, de Miriam Blaylock et illustré par Denis aux Editions Dominique Leroy.

L'espiègle et lascive Sans-Nichon, aux prises avec le puritanisme de sa belle-mère, découvre les affres de l'amour et des désirs naissants pour un beau prince qui se croit gay...

Vite, vite, découvrez la suite de ce roman ici.


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Par Irina Du Bois Sainte Marie

 

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