Le chantier

Le chantier

Publiée le 11 avril 2018  

Le ciel assombri se déchira d'un nouvel éclair. La pluie se fit bruine. Apportant une sorte de fraicheur à la moiteur de cette soirée d'été.
Marianne tira sur sa jupe décidément trop courte à son goût. Qu'avait-elle choisi un tel accoutrement ? Elle se félicita tout de même d'avoir évité les talons hauts. Le cadenas n'était pas fermé et la grille de fer du chantier résista un peu avant de céder. L'activité battait son plein en cette fin d'après-midi et le grutier envoya une série de coups de klaxon dès qu'elle entra dans l'enceinte. Marianne ne leva pas les yeux et serra ses bras contre sa poitrine. La traversée des travaux ne serait certainement pas une partie de plaisir. La vitre d'une camionnette garée lui renvoya la pauvre image de ses cheveux détrempés en filasse et de son Rimmel mué en cernes négligés. 

A son réveil, Maxime était déjà parti. Elle avait trainé un peu sous sa couette avant de se décider à affronter cette journée. Et le quotidien avait vite pris le dessus. La cuisine était en bataille et le chien n'avait pas été sorti. Il s'était contenté du jardin tandis qu'elle s'attaquait aux assiettes et aux verres bêtement empilés au-dessus du lave-vaisselle. De toute manière, Marianne n'aurait pas trouvé l'énergie de parcourir le quartier au bout d'une laisse. La matinée était passée à la vitesse de l'éclair. Etait-ce la peur ou l'excitation mais sa gorge s'était serrée au moment du repas. Si bien qu'elle s'était contentée d'une banane et d'un café tandis qu'elle faisait les cent pas dans le salon. Elle avait reçu le lieu de rendez-vous sur son téléphone peu avant seize heures. Le miroir de la salle de bain avait lancé un regard de reproche à cette silhouette petite et plantureuse qu'il lui arrivait d'aimer. Mais qu'allait-elle donc faire dans cette aventure ?   
 
— Vous ne devriez pas trainer par ici, ma p'tite dame.
Marianne sursauta. L'homme était massif. Il la dépassait de deux têtes dans sa salopette sale de fin de semaine. Planté devant elle, il posa un œil furtif sur la jupe osée de cette blondinette au regard hésitant. De jolis yeux verts qui n'osaient le fixer.
— Je ... Je cherche le bureau du chef de chantier.
Il fronça les sourcils. Visiblement interloqué.
  Comme vous voulez ... Heu, c'est simple. Vous continuez tout droit. Vous longez le mur et vous entrez dans le bâtiment par la première porte. Allez jusqu'au fond. C'est en travaux. Les Espagnols vont vous siffler, c'est sûr. Mais c'est des bons gars. Ne vous retournez pas. Dans votre tenue ... Je veux dire ... Habillée comme vous êtes.

Il se racla la gorge en se dandinant d'un pied sur l'autre. Car la pluie coulant des cheveux de Marianne teintait son fin tee-shirt des sombres auréoles de ses tétons tendus.
— Vous trouverez la sortie du bâtiment et là vous verrez la cabane de chantier. C'est le bureau. Celui qui est éclairé. Soyez prudente et mettez ça.
Il quitta son casque de chantier et lui tendit. Elle le considéra avec étonnement mais se résigna à s'en coiffer. Après tout, l'intention de cet ouvrier était des plus louables. Elle le remercia et s'éloigna en frissonnant. Car les yeux de l'homme devaient à cet instant caresser sa silhouette et son dos habilement ajouré. 
Marianne fit quelques pas dans le bourdonnement éloigné des travaux. L'intérieur du bâtiment résonnait de sons différents. Ses escarpins crissaient sur le béton brut. Sa respiration vibrait d'inquiétude. Le bâtiment serait bientôt un parking à étage. Le claquement des talons le disputerait au crissement des pneus des voitures que l'on gare. Mais pour l'heure, il n'était que ce lieu gris et moite dans cette nuit d'été, aux présences fantomatiques des ouvriers affairés. Coups de marteau, perforateurs, ferrailles que l'on jette, le brouhaha s'amplifiait tandis qu'elle avançait, craintive. De plus en plus en proie à une sourde inquiétude d'être allée trop loin. Bien trop loin. 
  — Oh, mon dieu !

Une silhouette sombre venait de surgir de derrière un pilier. L'ouvrier tenait encore en main son chalumeau. La flamme bleue claqua lorsqu'il coupa le gaz. Il releva sa visière noire mais son visage resta dans l'obscurité. Il faisait face à Marianne, à une dizaine de pas. Elle se figea. Il lui barrait le chemin. Une sorte de colosse barbu.

Ce fut alors qu'on bougea autour d'elle, dans les coins sombres du parking en chantier. Des pas glissaient. Des outils tombaient au sol. Marianne voulut reculer. Mais soudain son dos heurta un corps massif. Deux mains lui saisirent les épaules.
— No te muevas ... Bougez pas.
Un flot d'angoisse serra la gorge de Marianne. Sa poitrine étouffa ses sanglots lorsque les deux mains râpeuses quittèrent ses épaules pour caresser son cou et glisser sur ses joues. Les doigts malmenèrent ses lèvres avant de retourner à ses épaules. Puis l'ouvrier se planta devant elle. Il lui retira son casque et, d'un feutre sorti de sa poche, écrivit quelque chose sur le devant. Il la gratifia d'un sourire carnassier et l'en coiffa à nouveau. Puis il retourna dans son dos en riant.  
— Adelante !
Il la poussa du plat de la main pour qu'elle fît un pas en avant. Marianne se résigna. Elle marcha d'un pas hésitant en direction du colosse immobile. Ce fut alors que, silencieusement, se forma une haie d'ouvriers. Ils étaient à présent une quinzaine repartis de part et d'autre du cheminement à venir. Tous aussi grands et aussi costauds que le colosse barbu. L'un d'eux montra le casque de Marianne et partit d'un grand rire. Tous firent de même,  à gorge déployée, en se frottant les mains avec avidité.

Le reste ne fut que bousculade. Le corps de Marianne fut bientôt happé par les mains larges, sales et tendues. Elles malmenèrent le tissu de son fragile tee-shirt. Le froissant, le tirant pour mieux atteindre les formes offertes de leur pauvre victime. Ils riaient, exultaient et s'enhardissaient. Portant haut le verbe espagnol. Marianne avançait tant bien que mal dans cette forêt de bras et de corps qui l'enserraient inexorablement. Soudain, sous la poussée puissante, ses pieds quittèrent le sol. Elle se sentit soulevée jusqu'au sommet mouvant de ces tentacules avides. Elle flottait à présent, à plat ventre sur ces mains inquisitrices et puissantes. Son tee-shirt glissa rapidement par dessus sa poitrine tandis que se froissait sa jupe. Son casque tomba à terre. Elle eut juste le temps d'y lire le mot qui y été écrit. "TOCAME". Touchez-moi. Elle tourna sur elle-même, flottant par instants au-dessus du groupe ou plongeant au cœur de cette petite marée humaine. Son dos tanguait sur des dizaines de mains.

Marianne poussa un cri lorsque des doigts habiles tirèrent sur sa culotte qui glissa le long de ses jambes resserrées. On lui prit les poignets autant que les chevilles pour la tenir ouverte. Elle eut peur mais les paumes sur elle restèrent délicates. Indécentes mais délicates. On lui palpa les fesses. On caressa son sexe. On malaxa ses seins. On parcourut son dos, son ventre, ses cuisses. Laissant, par-ci, par-là, quelques trainées de graisse, des tâches blanches de plâtre et grises de ciment. Et le groupe avançait à travers le chantier, brandissant ce trophée qui ondulait à présent. Car Marianne venait de lâcher prise. Car toutes ces mains sur elle échauffaient maintenant son ventre. Car une sorte de confiance commençait à germer en elle. Une envie irrépressible de se laisser aller. De trouver du plaisir en cet étrange abandon.

Ce fut alors une explosion intime. Une chaleur intense qui monta de son ventre et lui cambra les reins. Elle flotta un instant entre deux mondes en gémissant de bonheur.
Puis, le moment vint où on la déposa. Délicatement. Imperceptiblement. Toutes les mains posées sur elle pour achever son vol. Alors, tous les hommes s'effacèrent en silence. Non sans avoir, une ultime fois, caressé son ventre, ses fesses, ses seins, sa joue ou ses cheveux.
Marianne reprit son souffle et rajusta ses habits. Seule manquait sa culotte. La cabane de chantier était à quelques pas. Encore troublée, elle en poussa bientôt la porte. Il était assis au bord de son bureau.  Il lui tendit la main. Elle la prit pour le saluer mais il l'attira vivement à lui. Leurs langues se mêlèrent jusqu'à l'étouffement. Il était gourmand, impatient. Tout s'accéléra soudain.
Les coups de bassin claquèrent longtemps les fesses de Marianne, les seins écrasés sur le bureau débarrassé du revers de bras puissant de son amant. Elle s'agrippait au rebord en criant de plaisir et de soulagement tandis qu'il la possédait sans ménagement.

Maxime rentra tard dans la nuit. Marianne ne dormait pas encore. Elle entendit les pneus sur le gravier de la cour et la portière délicatement fermée. La porte d'entrée grinça comme à son habitude. Maxime s'affaira un peu au rez-de-chaussée et prit une douche avant de grimper les escaliers. Lorsqu'il passa sous la couette, Marianne ronronna comme un chat en se lovant contre son corps puissant.
— Merci
Il lui caressa la joue.
— Tu étais sacrément excitée sur mon bureau au chantier. 
— Toutes ces mains sur moi, c'était ...
Il se glissa sur elle. Marianne ouvrit les jambes et lui empoigna les cheveux. Elle gémit de plaisir lorsqu'il entra en elle. Tendrement, cette fois.

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