Une lecture particulière

Une lecture particulière

Publiée le 29 janvier 2019  

    Je tire sur les menottes dépassant du matelas, attache l’un après l’autre les bracelets aux chevilles de ma captive. Je recule vers les pieds du sommier, me penche en dessous et attrape, mon bras tendu, la longe du harnais. Je la ramène vers moi, me saisis des deux bretelles et entoure ses poignets, resserre le velcro autour de ses articulations. Je tire d’un côté puis de l’autre sur les sangles réglables, tends progressivement les bandes de nylon jusqu’à l’obtention d’une tension palpable, suffisante pour maintenir ses membres raidis sans la contraindre à l’inconfort.

    Je la contemple nue et attachée sur le lit, dans une position que beaucoup trouveraient intimidante. Sa posture est la réplique exacte de l’homme de Vitruve. Pas de roue à rayons sous le grand écart de son corps, mais un matelas ferme et confortable ; pas de foule hurlante, ou de place publique appelant au lynchage, mais ma seule et maître des hautes œuvres présence. Et pour ce qui est de la torture, dont mon exécuteur s’apprête à lui faire ressentir les premiers fourmillements, je procéderai à ma façon, et sans rendre compte à un quelconque tribunal. Par le guet au diable !! Les méthodes de l’inquisition ont beau ne plus faire se lever les foules, je compte bien, en ce jour froid et mordant de novembre, revêtir l’habit et sortir un à un de leur retraite mes instruments. À cela de différent... 

    Le récital sera un tantinet moins moyenâgeux,

    … la flamme assurément plus douce et caressante.

    Mes bras chargés, je dépose mon attirail sur le plateau du petit réfrigérateur disposé à côté du lit. Tout y est, enfin tout... disons le trousseau nécessaire pour suivre jusqu’au bout le déroulé de mon programme. J’attrape ma tablette, passe quelques pages et lance la lecture. Le son d’un ruisseau se déverse en quelques secondes. J’entends le clapotis de l'eau qui s’écoule, auquel répond le flegme d’un piano. Celui-ci entre doucement, ses touches effleurées, s’élève au-dessus du lit de la rivière. Kamasutra Erotic Massage, le nom sonne comme une invitation au voyage, une traversée des sens. Je règle le volume plus haut, afin de couvrir les bruits du dehors ; oui, la chambre dans laquelle je m’apprête à prononcer mes tourments se trouve en rez de rue, et son unique fenêtre s’ouvre sur le trottoir passant. Le ballet des voitures, deux-roues et piétons se croisant derrière ne devrait heureusement pas couvrir ses arias confinés.

    Une exclamation tue s’échappe de la bouche de Laurine. Je ne lui ai rien dit, rien révélé de la séance, seulement qu’elle serait attachée sur le lit. Je me dirige vers l’étagère en bois gardant l’angle sous le téléviseur mural, m’empare du flacon Armani et vaporise quelques giclées sur le haut de mon thorax – sais qu'elle aime sentir son parfum oriental et boisé – avant de contourner le bas du lit et m’aposter au-dessus de sa tête. Je la domine nu, mon sexe pointé – mais encore sage – sur son portrait aveugle. Oui, j’ai pris le temps, avant de l’attacher, de lui poser un masque sur les yeux, celui-là même que l’on trouve dans les pochettes surprises des compagnies aériennes, surhaussé d’un foulard ; un prérequis indispensable.

    Je m’approche doucement, abdique un genou sur le matelas et, me penchant sur son visage, cours un souffle sur son cou. Sa respiration riposte, ses lèvres se déliant à quelques centimètres des miennes. J’exhale une brise tendue, passe d’un versant à l’autre, descends sur son aisselle. Son bras tiré par sa lanière, j’embrasse avec mon souffle son dessous lisse. Je me décale et la chevauche, chantonne mon refrain sous son bras droit. Son corps nu en croix, je survole ses gorges, chasse un frisson tiède sur ses pointes exhibées. Laurine chatonne sa tête dans le tissu. Je descends, me déporte sur le val de ses flancs, ralentis au passage de son nombril, parviens à sa lisière. Je souffle doucement, cajole au plus près son pubis, mes lèvres formées en rond dévale son mont jusqu'aux chairs accouplées de sa vulve. Captive, unie aux quatre pieds du lit, elle cotonne la rondeur de ses fesses dans le matelas. Je m’attarde volontiers sur sa zone, ses deux battants s’entrebâillant. Je dévie mon souffle sur son auvent, découvre son petit hôte.

    J’observe les velléités de son corps : elle voudrait ouvrir plus encore ses jambes, mais ne le peut. Sa petite voix glisse sous le trait de sa lèvre.     

    – Hum, c'est chaud... excitant.

    Je m’approche à une inspiration de son visage, lui murmure à l’oreille : « laisse-toi faire », me relève et harponne le premier instrument... 

Le glas de la séance sonne.

    Je fais glisser les barbes sur la rampe de sa jambe, très lentement remonte le long de sa cuisse. Sa caresse à peine effleurée et Laurine éclate d’un rire primesautier. 

    – Ahhhhh, ça chatouille ; c’est quoi ?

    Elle cabane son corps à droite à gauche, escrime un réflexe mutin. Oui, je me dis que j’ai bien fait de l’attacher, même si je ne pensais pas si tôt remercier les torons serrés des nœuds. Sans proférer un mot, je rabaisse le Calamus sur l’arrondi de son ventre, déclenche aussitôt un second fou rire. 

    – C’est intenable bébé !! C’est une torture ; JE SUIS ATTACHÉE.

    Je relève la plume d’autruche, décide de l’abattre d’une autre politesse. La savoir à ma merci, à la merci de l’immense plume de volatile, est un bonheur dont je profite lâchement, je l’avoue ; tant je la sens prête au meurtre devant sa menace aveugle. Je descends le marabout sous la plante de son pied, son peton impuissant me narguant, ses doigts comptés en l’air.

    – Nooooooooon !!!!

    Son cri retentit dans la chambre, tandis qu’elle se démène dans le lâche des centimètres autorisés par ses liens. Je décide de ne pas insister – ne voudrais pas que ses chevilles soient empreintes par le chanvre – déporte l’aigrette sur sa poitrine, enveloppe la rondeur de ses gorges. Son sourire sur ce nouvel itinéraire s’adoucit. Je passe sur son sein, convole sur son autre, enjôle la plume autour de ses tétons. Ses deux acromions se tendent, petits totems de chair se raidissent à vue d’œil. Je dévale son corps allongé, arrive au-dessus de son pubis, descends le Calamus dans son giron tiède. Le haut-parleur force sa note, Laurine épanche un souffle. J’immisce les barbes entre ses lèvres.

    Oh, ma muse entravée, léchée par la robe d’un grand volatile...

    Je m’arrête et repose la plume d’autruche, réquisitionne à la place les deux bougies que j’ai pris le soin d’allumer en début de séance. Celles-ci sont « basse température », chauffent un peu moins que les bâtonnets de cire habituels. Je les positionne toutes deux au-dessus de sa poitrine, observe son masque, sa cécité bandée, avant de les verser sur l’observatoire de ses seins.

    – Ouchhhhh !!!! C’est chaud !

    Deux petites coulées descendent de compétition l’orgueil de ses mamelles, viennent mourir juste sous leur repos. Je descends un peu plus bas et, mes cierges à demi chargés, fais choir les traits de cire sur son ventre. Sa réaction se récrie cette fois plus virulente :

    – Ahhhhhhh, ça brûle un peu plus là.

    » Bébéé... !

    Je lui réponds d’une évidence que jalouserait notre bon La Palice :

    – Ce sont des bougies basses températures, elles brûlent moins que les autres.

    – Oui, et bien là ça brûle !! Grrr, je comprends pourquoi je devais être attachée ; la plume, puis la bougie. Tortionnaire, tu avais tout prévu.

    « C’est toi qui m’as demandé de t’attacher. »

    Oui, c’est sa voix, à l’autre bout du téléphone, qui la première me l’a demandé. Je lui ai simplement répondu qu’elle le serait. Nous étions déjà et avant l’heure sur un accord... synallagmatique.

    – Oui, je sais ; mais je ne savais pas que tu allais me torturer.

    J’observe la pause de quelques secondes, la laisse éprouver le refroidissement de la cire sur son ventre, le façonnage de la paraffine qui durcit. Quand les bougies, par deux à nouveau se renversent, son cri transperce le chant du Kâma-Sûtra. 

    – Ça brûuuuleee !!!! Ohhhhhh... mmmm.

    A contrario de l’éruption du Vésuve, et sa coulée de lave destructrice, le ruisselet de cire s’est arrêté sur son petit tertre. J’observe le drapé rougeoyant sur le renflé de son pubis. Elle se tord, en tout impouvoir... parvient à réprimer les soubresauts de son corps. Je ne parle pas, ne prononce le plus petit mot, la renvoie de mon silence à son supplice, à son appréhension ; qui sous la barde de sa poitrine claironne et tambourine. C’est à tort pourtant : j’ai reposé les bougies, ne les menace plus au pendule de son sexe, ne désire que les rus de sang desservent son plaisir. 

    Je la laisse un temps habitée de ses pensées, puis rabats ma jambe sur le lit sans déranger le matelas. Je chasse ma langue, en approchant mon visage, sur sa pente achilléenne. Ses lèvres délient un soulagement. Je remonte doucement son mollet, son genou, et attaque l’ascension de sa cuisse. J’effleure avec ma pointe le tracé de son muscle. Le bout de ma langue double son aine, contourne sa hanche et s’invite à la périphérie de son sein. Je délaisse son mamelon bruni, lèche le pli ouvert sous son bras avant de suivre son prolongement. Mes lèvres ramassent ses doigts, un à un les aspirent et les sucent. Je fais attention à ce qu’aucune partie de mon corps ne la touche, veux ma langue seule courant sur sa peau.

    Je me décale au-dessus de son autre aisselle, l’humecte doucement, puis dévale son bras, fais jouer son quintet dans ma bouche. Ses blancs sommets paradent leurs traits de pinceau rouges ; ma langue contourne la cire durcie sur ses aréoles. Je glisse sur son corps, descends vers son cœur.

    J’affleure son doux fauve, sa respiration capiteuse, groupé entre ses jambes dans la position du dogeza, le célèbre salut japonais ; ses petites lèvres s’écartent sans effort. Elle réagit, tire doucement d’un côté puis de l’autre sur ses entraves. Ses chevilles et poignets tenus aux quatre extrémités, elle exerce la solidité de ses liens, voudrait participer de son corps, mais se sait impuissante,

… soumise en croix.

Laurine soupire, décoche de petits dards sur un Cupidon observateur.

Qu’une pointe s’introduise dans sa fente...

    Ma langue la fouille et l’assaille, recueille son humeur blanchâtre. Je lape son intérieur, joue de mon organe. Elle gravit si tôt et encordée le versant, vagit sa lamentation, me murmure, souffle qu’elle va venir (oh déjà), m’incitant par sa note à poursuivre. Je poursuis cela s’entend, m’égare dans sa toile, fauche ses fils arachnéens. Son corps se bande, s’arque doucement ; je la sens qui s’abandonne.

    Je fixe ses yeux prisonniers, l’invocation de ses lèvres.

    « Oui... oh oui... ouu ! », je retire ma langue sur le point de sa voyelle...

    – Bébéééé, j’allais jouir !

    » Ohhhhhhh... mon cœur.

    Hum, la voilà peut-être sa vraie torture. Plus que l’intenable d’une plume, d’une coulée de cire, le retrait de ma langue à l’instant criant de sa délivrance. Je reste déposé entre ses jambes, le torse droit, à admirer oh... dire qu’elle est trempée est en deçà de la vérité. Laurine s’escrime à me toucher, jouant une jambe après l’autre ; les cordes rendant des nœuds solides n’y parvient à aucun moment. C’est parfait, et ce que je souhaite. Je puis être il est vrai, et aux dires du seigneur de Bellerocaille, un bourreau consciencieux, très appliqué dans l’exécution de mon travail.

    – Viens s’il te plaît... oh viens.

    Oui, je ne vais pas te laisser ainsi. Je me tiens sans bouger, joue avec son attente. Ses jambes ne cherchent plus, se sont résignées. Elle boule ses fesses sur le drap, roule ses hanches pour museler ses abois. Je choisis ce moment pour me pencher et tendre ma langue. « Ohhhhhhmmmmm ! », elle m’accueille d’un souffle devant Dieu paru, s’enchatonne dans le lit en forçant d’un pieux consentement ses jambes. J’étire ma langue sur le bas de son pubis, ouvre son auvent et découvre son dormeur. Je rencontre un peu lâche sur son chemin mes signets de cire, rapporte un peu du goût acre de la paraffine avant de descendre sur son bouton. Elle piaule à chacune de mes lampées, son petit chaume soufflé, flagellé.

    – Ohhhhhhh c’est bon ! Ouiiiii.

    Son corps enfin se tend, et tire d’un seul effort sur le quatuor de chanvre. Son plaisir se raccroche aux cordes, les culbute vers l’intérieur. Je bois sa jouissance, force ma langue dans sa conque. Elle éclabousse le bas de mon visage, tire sur ses entraves, m’implore de sa voix.

    – Arrêête, c’est trop sensible, s’il te plaaaaait...

    Laurine rue d’un côté, de l’autre, bande les tresses attachées aux quatre pieds du lit. Il est temps d’arrêter, son supplice a assez duré. Je relève mon visage, me redresse et descends du sommier ; tout en transportant un pied au sol contemple son tableau crucifié. J’ouvre la porte du minibar, en ressors une mystérieuse petite boîte transparente. J’ôte son couvercle et la pends au-dessus de son visage, suspends ses lèvres.

    – Chutttt... ouvre ta bouche mon cœur.

    Elle m’obéit et me montre sa gorge, risque sa pointe sur le bord. Je verse soigneusement le contenu du petit écrin sur le sillon de sa langue, lisse avec mon doigt sa cour, caresse le liseré de sa lèvre. 

    Sa voix entrouvre un sourire.

    – Mmm, je connais ce goût.

    Elle aspire mon doigt, l’enroule autour de sa langue. Je la regarde faire, d’un coup un seul très excité. Ma spirale sur sa commissure, elle me réclame tout bas : « Embrasse-moi. »

    Les instruments volent sous le ciel blanc de la chambre, la playlist fredonne son récital, indifférente aux boulevaris du dehors, aux contorsions soupirées du dedans. Son baiser s’ouvre chaud et humide, éclairé de sa langue ; sa petite salive s’enroule. Je décroche mes lèvres et dépêche ma main sur le minibar, me recule entre ses jambes. J’ancre mes bras de chaque côté, concours mes jambes vers l’arrière et – mes biceps tendus – m’abats entre ses cuisses. Ma verge glisse sur la venelle de ses lèvres... Laurine épanche un souffle. Mon sexe choisit cette expiration, celle où son intonation rend son âme, pour s’enfoncer d’un trait et pénétrer son antre ; sa tonalité dans l’instant se renforce. Je force l’écart de ses cuisses, m’abîme dans ses entrailles. Porté sur mes bras, mes jambes entre les siennes, je chevauche et monte son pubis. Elle ne se débat pas... ou plus, la tension des cordes soulagée sur ses chevilles et poignets. Son regard interdit, sa bouche me commande. Le lit commence à tanguer, se démène, sa poitrine fait de même, cabriole d’avant en arrière. Ses yeux battus, derrière le scélérat de son masque ?? Comment le saurais-je. Ma pénétration forcenée, son corps tressaille et tremble. Je m’enfonce en elle ; ma queue viole sa claire, plonge dans l’abysse chaud de son vagin. Son bas-ventre en perdition, elle me crie de continuer, me l’ordonne... me supplie. Je sens venir l’épilogue, impossible à contenir... 

Ce fameux point d’inévitabilité éjaculatoire.

Le glas de non-retour.

    Je jouis dans un fracas ; elle me suit dans les secondes, mon aura seminalis jaillie. Son plaisir aveugle est si beau à voir. Je la contemple allongée, écartelée, tempère mes venues, mes allers. Je me retire de son antre, le souffle cahoté me campe à son équerre et la regarde. Sa pose est mienne... m’appartient, assujettie aux quatre pieds du lit, sa peau tannée de sueur, ses yeux sous un fronteau, l’union du rouge et du noir, Mme de Rênal, Mathilde de La Mole, la passion de Stendhal. Je me dirige vers la tête du lit, délivre les bracelets à ses chevilles, puis à ses poignets, lui ôte enfin son bandeau. 

    Ses yeux embués se lèvent sur moi.

    – Tu as les yeux mouillés mon cœur.

    Sa voix au plus bas me murmure :

    – Oui, j’ai pleuré.

    Elle se relève et vient s’enchâsser dans mes bras, 

    … son corps tracé de rouge. 

***

Retrouvez Laurine dans le précédent texte de Christophe Lliann, la flèche wallonne.

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