Miss Dior, la saga continue

Miss Dior, la saga continue

Publiée le 15 juillet 2013  

A l’aurore, réveillée par les premières lueurs matinales filtrantes au travers de la fenêtre de toit, Mathilde s’était levée, enrobée des frissons à la sortie d’un nid douillet. Ses premières pensées étaient allées à Benjamin, ses souvenirs de la veille avaient resurgi en affluence, désordonnés, en un flux incessant presque obsédant. Elle s’était laissé envahir d’une culpabilité exagérée quand à son comportement pour le moins licencieux à l’égard du jeune homme. Mais pour autant, c’était une évidence, il avait aimé cette maturité sexuelle dont elle l’avait investi.

Pour preuve, il l’avait entourée de tendresse, lorsque, dans un moment de désespoir, elle avait sombré dans le pathétique. Il fallait absolument qu’il oublie cette femme pitoyable avachie dans le bac de douche.

Après une toilette rapide, elle s’était mise à déambuler entièrement nue dans l’appartement, à la recherche de son reflet dans les miroirs accueillants.

Lorsque Benjamin, passerait le pas de la porte, les bras chargés de viennoiseries encore chaudes, elle l’accueillerait en nuisette, ou peut-être...

Elle s’était mise en quête de quelques dentelles qui n’avaient que trop dormi dans les tiroirs de son chiffonnier baroque. Il était si loin le temps où elle rivalisait d’imagination pour être toujours séduisante dans sa lingerie exquise. Elle s’inventait des mises en scènes, des jeux de rôle dans lesquels elle vouait une méticulosité particulière  à l’accord parfait de ses dessous et de ses escarpins. Il était si loin le temps où elle était femme à part entière, les souvenirs lui revenaient en vague, ses tenues vestimentaires toujours délicieusement glamour, l’insolite de ses lieux de rencontre, un érotisme cadencé d’improvisation et de provocation...

Trois légers coups à la porte d’entrée l’avaient arrachée à ses pensées, et dans l’urgence de la situation, elle avait enfilé une nuisette de voile noir, qui dévoilait par transparence sa silhouette féminine.

« Voilà, voilà » Elle avait regardé l’heure, il était à peine huit heures Benjamin était-il donc si empressé pour venir à une heure aussi matinale .Elle avait ajusté ses cheveux en chignon improvisé, corroborer sa féminité d’une touche originale d’essence de parfum, enfilé ses mules de satin et s’était précipitée pour ouvrir la porte...

« Bonjour Mathilde chérie

-Bonjour Christopher, mais que fais-tu là ?

-As-tu oublié, je t’avais dit que je passerais pour récupérer le bouquin que je t’avais passé avant de prendre la route ?

-La route ? Je ne me rappelle pas du tout, mais où vas-tu ?

-Houlà, Mat Chérie, tu ne t’arranges pas avec l’âge !

-Merci, toujours aussi agréable !

-Je reconnais ces yeux, deux éclairs vert foudroyants, ils me font toujours autant d’effet...

-Arrête ton cinéma, veux-tu. Bon, tu pars où ?

- A la maison du lac, rappelle-toi, je t’ai même invitée à venir me rejoindre après les examens...La Creuse est bien agréable au mois de juin, et puis tu aimes tant jouer du violoncelle là –bas, au bord du lac...mais dis –moi, tu es vraiment délicieuse dans cette tenue, c’est pour moi, avoue, encore un de tes jeux, j’ai presque envie de te croquer.

-Ta mythomanie te joue encore des tours mon pauvre vieux. »

 Et vlan un retour de manivelle avait-il songé.

« Crois-tu que je passe ma vie à t’attendre ?

-Waouh, tigresse...

-Arrête tu m’exaspères

-Tu n’as pas toujours dit ça...Cette bonne odeur de café me dit que tu vas m’offrir une tasse

-Tu sais où sont les tasses, sers toi, récupère tes cd et file, tu as de la route à faire ...

-Pas des cd, ma belle, un roman, tiens le voilà.

-C’est parfait, tu as ce que tu voulais donc.

-Pas tout à fait, ce petit cul me fait défaut ...

-Tu deviens indécent ...

-Tu te souviens, c’est bien toi qui m’a conduit sur ces chemins scabreux...

-Scabreux, je ne vois rien de scabreux dans l’érotisme, sauf que toi tu as tout confondu...érotisme , libertinage dans ce qu’il a de plus raffiné avec débauche sexuelle.

-Peut –être m’as-tu mal initié, Trésor...et puis ce n’est qu’une question de vocabulaire

-Arrête, tu es un odieux personnage ...Voilà tu as bu ton café, la porte est ouverte ...

-Ok, ok ma belle quelle impétuosité. »

Christopher n’avait manifesté aucune colère, mais avant de refermer la porte, il avait jeté un regard consenti sur la silhouette de Mathilde avant de rajouter « Tu es toujours aussi bandante, si tu changes d’avis, tu sais où me trouver. »

Alors que Christopher rejoignait le rez-de-chaussée dans le vieil ascenseur de l’immeuble bourgeois où résidait Mathilde, Benjamin gravissait les marches de la cage d’escalier quatre à quatre. Mathilde accueillait brutalement le jeune homme. Ouvrant grand la porte elle s’était écriée

« Quoi, qu’as-tu oublié...Oh pardon, Benjamin, je croyais...

-Tu croyais ...Bonjour Mathilde, as-tu bien dormi ? »

Cette douceur dont il venait de l’enrober en quelques mots avait instantanément assagi son fougueux tempérament.

Délivrée de sa colère aussi fulgurante que passagère, elle remerciait Benjamin pour les viennoiseries qu'’il avait apportées

« Où veux-tu petit déjeuner Benjamin, à table ou au bar ?

-Es- tu si affamée, moi je le suis, mais de toi ...tu es ...très excitante...

-Je vais passer un peignoir, je n’ai pas chaud.

-Il y a bien un remède à cela ...

-Benjamin...

-Ok, ok, déjeunons. »

Pendant le court laps de temps d’absence de Mathilde, partie couvrir ses épaules, on avait frappé à la porte et Benjamin, inconsciemment avait ouvert.

Un homme, la cinquantaine, bel homme du reste était entré comme une rafale de mistral.

« Mat chérie, j’ai oublié mes clés. »

La porte s’était refermée, les deux hommes s’étaient retrouvés dans un face à face inopportun avec, pour témoin de leur duel visuel improvisé, Mathilde, visiblement embarrassée, dans l’embrasure de l’ouverture de la chambre. Elle ne s’était pourtant pas démontée et avait fait les présentations avec un naturel frisant l’indécence.

« Christopher, je te présente Benjamin, mon élève le plus doué du moment, Benjamin je te présente Christopher, mon ex- mari. Voilà les présentations sont faites, il n’est pas nécessaire que vous vous serriez la main. Chrys tu peux partir, tu n’as plus rien oublié, c’est bon ? Ben et moi avons du pain sur la planche.

-Et dans le grille- pain, si je me fie aux apparences, je ne suis donc pas convié aux festivités. ...Ravi de vous avoir croisé Ben, il avait insisté sur le côté diminutif du prénom.

Pour ma part il aura fallu bien des années pour qu’elle veuille bien me donner un sobriquet, Madame le professeur est un peu bourge, mais ...Vous êtes venu à la bonne heure, Mathilde adore baiser après le petit déjeuner. »

Excédée par l’ignominie présomptueuse de son ex- mari, Mathilde, l’avait poussé jusqu’à la sortie en le traitant de vieil hystérique lubrique refoulé sous le regard amusé de Benjamin.

« Pas d’inquiétude Mathilde, il est juste jaloux, mais quelle géniale idée d’avoir divorcé. »

Après cette irruption aussi mouvementée qu’agressive, Mathilde s’était faite discrète dans son comportement.

Elle leur avait servi le petit déjeuner, avait à peine touché aux viennoiseries. Puis avec une étrange douceur, elle s’était excusée auprès de Benjamin quant au comportement odieux de son ex mari.

« Je suis désolée, Benjamin, de cet entrefaite, Christopher ne changera jamais.

-Ne le sois pas, Mathilde, tu n’y es pour rien.

-Si, un peu, j’ai trop longtemps cautionné ses agissements en minimisant son vil caractère.

-Tu devais être amoureuse, l’amour rend tolérant ou aveugle...

-Oui, sûrement au point de faire tout et n’importe quoi.

-Mais sans vouloir paraître curieux, pourquoi cet emportement, alors que vous n’êtes plus mariés, pourquoi ce Mat Chérie ?

-Mais tu l’es !

-Quoi ?

-Curieux...Mais je comprends ta curiosité .Son comportement est indécent, voire sadique.

-Je suis d’accord avec toi, mais quelle en est la raison ?

-Là tu deviens vraiment inconvenant ...

-Pardonne moi, je ne voulais pas te déranger avec cela, viens contre moi Mathilde »

Timidement elle s’était rapprochée de Benjamin, attirée par cette tendresse juvénile dont il se plaisait à l’enrober. Il avait posé ici et là, sur sa chevelure parfumée, des baisers, essayant vainement d’assagir le caractère emporté de Mathilde.

« Est-ce vrai ?

-Quoi donc ?

-Que tu aimes faire l’amour après le petit-déjeuner ?

-Benjamin, crois tu vraiment que ce soit le moment ?

-De quoi as-tu envie Mathilde, là à l’instant ?

-De tendresse, un minimum de tendresse, l’heure n’est pas au batifolage, serais-tu donc comme tous les autres ?

-Mais encore ?

-Es-tu venu pour me baiser ce matin ?

-Pas que, Mathilde, tu le sais bien, c’est quoi cette soudaine rébellion contre la gente masculine ?

-On le serait à moins, la perversité fait-elle partie de votre trait de caractère ?

-Calme toi, Mathilde, ne généralise pas, je crois que tout ceci renferme un grand secret que tu n’oses m’avouer par pudeur ou je ne sais quel autre raison. N’as-tu pas confiance en moi ?

-Bien sûr que si, mais pas plus tard qu’hier, je me suis emportée après toi, alors que la seule coupable, c’était moi, guidée par je ne sais quelle lubricité latente et...

-J’ai oublié, ne suis-je pas là ?

-Je t’ai bandé les yeux, égoïstement, et toi ta peur du noir...Trop d’érotisme tue le désir.

-Mais j’aime ton érotisme, j’en redemande. Quel est ton secret ?

-Aime moi, Benjamin, aime moi pour ce que je suis... »

Pour preuve, il avait défait son peignoir, déposant avec douceur et convoitise, des baisers sur l’arrondi de ses épaules dénudées. Ses mains de jeune prodige, des mains de musiciens assurément, s’étaient égarées à la recherche de ses courbes, de la plus dévoilée à la plus dérobée.

Lorsque le peignoir était tombé, Mathilde, dans le désir, sous le charme des tendres caresses de Ben, prenait conscience de son amour naissant. Elle d’habitude si dirigiste, s’était faite obéissante, sa peau chaude et frissonnante en totale adéquation avec les effleurements de son jeune amant. Il avait rompu le bruissement de leurs échanges épidermiques

« Sais-tu, Mathilde ce que je préfère chez toi, la ligne de tes hanches, cet arrondi particulier qui donne une réplique parfaite au galbe de tes seins, je ne m’en lasse pas, je pourrais la caresser des heures, les yeux fermés, pour mieux en ressentir les courbes.

-On dirait que tu parles d’une statue d’albâtre.

-Chut, ferme les yeux, et ressens avec moi tes courbes, la cambrure de tes reins sous la paume de ma main, et cette autre main qui se perd sur le chemin de l’Y de tes fesses. Il est là mon plaisir, Mathilde découvrir chaque parcelle de ce corps que je désire depuis si longtemps. » Ensorcelée par la voix de Benjamin, elle s’était prêtée, complice à ce jeu riche en sensuels émois. Un mélange éclectique de tendresse, de désir, d’amour peut être l’avait emportée doucement, l’éloignant du caractère sexuel d’une étreinte amoureuse ordinaire. Enrobée des douceurs olfactives et tactiles dont le jeune homme l’honorait, elle avait perdu l’essence même de leurs échanges, l’attraction réciproque, bien égoïstement.

Avant même, de ressentir entre ses cuisses la chaleur des mains de Benjamin, elle s’était évadée en brefs halètements, solliciteuse inconsciente de plus d’emportement.

Ce jeu machiavélique tout en frôlement l’avait accompagnée jusqu’à la jouissance fulgurante, explosive par le seul fait de désirs plus brûlants.

« Je t’aime, Mathilde, je t’aime pour ce que tu es et je t’aime aussi pour tout ce que vas me dévoiler. Nous avons tout le temps d’apprendre à nous connaître, et si tu ne m’aimes pas, je ferai tout pour que ça change. J’aime cette dualité qui est tienne, faite de sexe et de tendresse, de lubricité et de détresse. Je t’aime pour ce que tu es, alors aime moi pour ce que je suis. » 

Dans la déliquescence de son orgasme, elle n’avait pu retenir ses larmes. Avant d’aimer son corps, Benjamin adorait et respectait la femme... Il était sous le charme de cette femme qui pouvait, à la moindre caresse, frissonner avant que de se perdre très rapidement dans un plaisir intense. Étaient-ce ses fantasmes qui guidaient la montée du désir, ou bien le désir qui esquissait ses fantasmes. Le fait est, qu’elle était capable de jouir très rapidement, et Benjamin très fièrement s’en était approprié la légitimité. Il n’avait pas vraiment tort, elle avait confiance en Benjamin, cette confiance qu’elle avait perdu envers la gente masculine. L’honnêteté sentimentale dont il l’honorait, cette générosité peu coutumière chez la plupart de ses rares amants, ces deux qualités essentielles l’avaient émue engendrant une jouissance particulière, doux mélange de tendresse et de sexe.

Benjamin avait emporté Mathilde à moitié nue dans ses bras et l’avait déposée amoureusement sur le lit défait.

« Voilà Princesse. »

Avant de se lover contre lui, elle lui avait délicatement défait la chemise, puis la lui avait ôtée en faisant glisser ses mains fiévreuses sous le tissus de coton.

Ils s’étaient allongé tous les deux, leurs membres enchevêtrés, leur peau et leurs odeurs mélangées, et Mathilde avec tendresse et sensualité avait laissé longtemps ses doigts parcourir la poitrine de son amant. Elle aimait ces moments de tendresses qui succèdent à l’impétuosité de la jouissance, puissante, démesurée. Elle aimait ce silence qui s’instaure alors, où l’on peut entendre à nouveau les battements des cœurs s’harmoniser. Elle avait savouré ces instants comme un vrai bonheur presque insolite.

« Tu sais, Benjamin, avait-elle murmuré, j’ai cruellement manqué de tendresse, dans mon enfance, puis ma jeunesse. Je ne parle pas d’amour, de l’amour, j’en ai eu sous des formes détournées...

Je suis née dans un milieu bourgeois, de province qui plus est, et, comme dirait Brel, chez ces gens là, et bien chez ces gens là, on n’est pas très démonstratif, on ne dit pas je t’aime, on ne donne pas de baisers, ni même de caresse...Mais on ne le sait pas, enfin on le découvre bien des années plus tard, quand la moindre tendresse vous émeut jusqu’aux larmes car jusque là méconnues.

-Mathilde, je crois que... »

Elle avait continué son quasi monologue sa tête contre l’épaule de Benjamin et son regard perdu dans ses souvenirs les plus lointains.

« Ma mère ne m’a jamais accompagnée à l’école comme les autres enfants .Nous avions une employée de maison qui me déposait tous les matins devant l’école. Les autres élèves avaient droit aux tendresses maternelles, tout juste si ma mère me déposait un baiser du bout des lèvres sur ma joue, avant que je ne quitte la maison. On s’habitue à tout même au manque de tendresse... »

Benjamin ému par cette maîtresse femme redevenue enfant, caressait les cheveux déliés de Mathilde, de la tendresse au bout des doigts. 

« Où veux-tu en venir, pourquoi me racontes-tu cela ?

-Juste pour te dire que ta douceur et tes baisers valent de l’or à mes yeux. A dix ans, alors que ces douceurs maternelles me faisaient tant défaut, j’ai été enlevée du foyer pour aller en pension dans une école religieuse. Inutile de te dire que ce n’est pas chez les bonnes sœurs que j’ai trouvé la bonté que je recherchais. Alors très tôt, aux alentours de treize ans, c’était précoce pour l’époque, j’ai multiplié les flirts toujours en quête de tendresse et c’est là...

-C’est là ?

-Et bien c’est là, que j’ai découvert le plaisir. Ces caresses que j’avais toujours grappillées, à droite à gauche, ces caresses m’ont dévoilée la montée du désir et la jouissance avant que d’en connaître la douceur...J’aimais cette béatitude dans lesquelles elles me conduisaient, alors que je n’en étais qu’aux balbutiements de ma sexualité. Alors je m’y suis réfugiée, obséquieusement, une parade à ma détresse sentimentale, n’allant jamais bien plus loin que de simples attouchements

-As-tu des frères, des sœurs ?

-Oui un frère et une sœur, mais pourquoi cette question ?

-Ben tu aurais pu leur en parler ...

-Mon frère était déjà parti à la fac, et puis à vrai dire nous nous connaissions si peu, les années pensionnat nous ont séparés

-Et ta sœur ?

-Ma sœur, une cadette de cinq ans qui a toujours traîné dans les jupons de notre mère, elle n’aurait pas compris, je l’ai préservée de cela, et puis elle, les garçons ce n’était pas du tout son truc... on lui a épargné le pensionnat.

-Serais- tu jalouse ?

-Jalouse, non du tout, ce n’est pas dans mon tempérament et puis je n’ai jamais rencontré un homme qui puisse me susciter un tel sentiment, mais finalement peut-être ne suis-je jamais tomber amoureuse.

-Tu ne sais pas à côté de quoi tu passes...Mais je ne parlais pas de cette jalousie là, mais plutôt celle que tu pouvais ressentir envers ta sœur. »

Elle avait poursuivi son idée initiale.

« Je crois que je suis en train d’entrevoir le bonheur d’une idylle avec son lot de souffrance, je suis tellement bien avec toi, autant de douceur et d’attention me chavire, je n’ai jamais connu cela auparavant...je suis prête à relever le défi de la désillusion à venir, quitte à faire connaissance avec ce mal aussi pernicieux qu’un cancer, la jalousie....

Embrasse moi Benjamin, embrasse moi à m’en couper le souffle, à ôter toute rationalité à mes raisonnements, à m’enlever les craintes, baise ma bouche de tes pensées malsaines édulcorées de ta tendre jeunesse et promet moi ...

-Je n’ai rien à te promettre, je veux juste t’aimer jusqu’à te rendre dingue, je veux que le manque te guette quand je m’éloignerai, que l’addiction te flingue ...

-Tu es complètement dingue...

-Oui de toi... »

Le baiser qu’ils avaient alors échangé dans une complicité chimique et intellectuelle devait à jamais imprimer leur esprit .Longtemps, très longtemps après ils en avaient parlé comme d’un pacte éternel de leur complicité identitaire.

Leurs deux langues enroulées dans un ballet érotique et humide, avaient allumés dans le reflet de leurs yeux des milliers d’étincelles étoilées qui s’étaient disséminées comme un violent brasier sur leur enveloppe corporelle.

« Es-tu prêt à me suivre dans mes luxurieuses voluptés ?

-J’aime ce libertinage sous- jacent dont tu n’oses m’avouer que tu aimes les contours et les déviances, je veux que tu m’emmènes dans ton voyage érotique et peu importe la suite, la tendresse sera toujours présente quoiqu’il advienne. »

 Aiguilles-bas sans dessous, une suite en voluptueuse dépendance, sur la portée musicale d’une idylle peu sage, comme une création artistique venait de naître d’un baiser, pièce maîtresse de leurs débordements à venir. Car c’est ainsi qu’il la prénommerait toujours dans son subconscient au plus loin de ses souvenirs impudiquement tendres...avec elle !

 « En attendant d’embarquer sur notre réale érotique, donnons-nous le temps Benjamin. »

Ce disant, elle s’était défaite de son jeune amant, se dirigeant à demi dévêtue, vers son violoncelle, peut être en quête de la ressource énergétique que représentait pour elle une œuvre musicale lorsque ses doigts faisaient vibrer les cordes.

Cette scène vivante, Benjamin en avait rêvé de nombreuses fois .Combien de songes avaient peuplé ses nuits, combien de violoncellistes juste vêtues de rien avaient empli ses rêves de musicalité érotico- sensorielle.

Il s’était plu à la regarder jouer, sa poitrine lourde dérobée derrière l’instrument à corde, sa chevelure, détachée en boucles désordonnées, étalée de part et d’autre de son gracieux port de tête, sa cambrure accentuée par la position idéale d’une violoncelliste.

Ce sublime corps à corps avec l’instrument lui renvoyait l’image d’une femme aux accords parfaits, sensible et meurtrie, douce et amère à la fois, avec je ne sais quoi de rebelle à peine dévoilé sous ses faux airs de charmeuse invétérée.

Enfermée dans sa bulle musicale, elle n’avait plus prêté attention à Benjamin, qui à la manière d’un félin guettant sa proie, s’était rapproché de Mathilde au point de pouvoir en ressentir sa chaleur l’effleurer. Les senteurs capiteuses de son sexe nu subtilisé par la caisse résonante de l’instrument calé entre ses cuisses lui faisaient défaut.

-Tu vois bien Mathilde, nous sommes faits l’un pour l’autre 

-Tu as l’air si sincère quand tu le dis

-Mais je le pense .Attends je pense à un truc. Tu es libre, tu es en congé, et moi après les exams aussi.

-A quoi penses-tu ?

-Chut ! »

Il avait composé un numéro interminable sur son portable et avait attendu en silence une réponse.

« Allo, allo, Maman ! Allo, merde, ça a coupé !

-Benjamin, non que fais-tu ?

-Chut ! Allo Maman, c’est Ben ! Ou bien, bien ...écoute, puis je venir avec mon amie ?...oui maman, j’ai une amie ...oui ...Mathilde ...je t’entends mal ...15 jours ...merde, encore coupé

-Mais es-tu devenu fou ?

-Peut être, mais nous partons après mes exams pendant quinze jours au Portugal, ce n’est pas génial

-Au Portugal ?

-Oui chez mes parents, prépare ta valise, je t’aime Mathilde. »

Bien qu’éberluée par la tournure que prenait cette relation à peine entamée la veille, Mathilde avait acquiescé, très tentée par une escapade portugaise, certainement son gout pour l’aventure doublé de son attirance pour les extravagantes.

Elle s’était à nouveau enveloppée dans son peignoir et leur avait resservi un café.

« Tes parents sont-ils portugais ?

-Pas du tout, mais mon père était employé au Consulat de France à Porto dans une de ses tout dernier poste, et ma mère et lui sont tombés amoureux du Portugal...

-En vacances donc...

-Oui et non, ils vivent six mois en France et six mois là-bas...mes parents sont retraités, enfin mon père, ma mère est beaucoup plus jeune que lui ...

-Tu veux dire que nous allons vivre chez tes parents pendant quinze jours, écoute Benjamin...je crains que...

-Ne crains rien, qu’as-tu à craindre ?

-Ta jeunesse, ta fougue, tes parents ...

-Mes parents ? Mon père joue au golf la plupart du temps, quant à ma mère, tu devrais t’entendre avec elle, vous avez presque le même âge.

-Justement c’est bien ce qui m’inquiète, je devine qu’elle sera furieuse en me voyant débarquer, pire odieuse.

-Écoute, ma vie ne la regarde pas, après tout si je suis heureux avec toi, elle devrait être heureuse...

-Oui jusqu’au moment où elle ne supportera de te voir m’embrasser ou passer ton bras autour de ma taille.

-Ma sœur sera là pour l’occuper...

-Ta sœur ...non, décidément Benjamin, je ne peux accepter !

-Je crois au contraire que tu te fais prier, tu es une vraie garce, et j’adore cette garce. »

Il l’avait attrapée et l’avait poussée sur le lit, une bataille d’oreillers s’en était suivi. Mathilde avait ri à gorge déployée et dans sa folie dynamisée par la jeunesse, elle avait songé qu’il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas ri autant.

Une phrase lui était revenue en tête, une phrase simple qu’elle avait retenu étrangement, lorsqu’elle avait relu récemment, Le portrait de Dorian Gray, « Pour redevenir jeune, on n’a guère qu’a recommencer ses folies ».

C’était une folie que de suivre Benjamin dans ses désirs, mais son insouciance et sa naïveté, lui renvoyaient en vague sa jeunesse rebelle et ce désir de liberté dont elle avait été trop tôt privé parce que trop tôt elle avait convolé en noce, à peine sortie du cadre familial.

Benjamin avait raison de faire ses choix en fonctions de ses envies et non pas de ses craintes, car, elle, Mathilde n’avait que trop pris de décisions liées à ses proches, sa famille, son mari, son entourage et aujourd’hui elle regrettait amèrement cette faiblesse. 

« Alors, tu sais ce qu’elle te dit la garce. C’est vrai...

-Qu’est-ce qui est vrai, mais enfin de quoi parles-tu ?

-J’aime faire l’amour après le petit déjeuner et aussi pendant ...et aussi le soir, mais encore l’après midi...et en pleine nuit ...j’adore en pleine nuit...

-Mathilde ne me pousse pas à bout ...si je m’écoutais je te baiserais tout le temps.

-Il est trop tard, je dois passer à l’académie, il faut que je m’habille. »

Elle avait ouvert grandement les portes de son dressing.

« Choisis, Benjamin, choisis ma tenue. »

De nombreux cintres alignés méthodiquement, des tenues plus glamours les unes que les autres, des escarpins, des cuissardes à hauts talons, accessoires en tout genre allant du chapeau en passant par des boas ou encore des perruques et même des loups...

« Mathilde, mais qu’est ce que c’est que tout çà. Où sont tes robes ? Je veux dire celles que tu portes, enfin tu vois celles de Mademoiselle Mathilde, la prof de violoncelle.

-Mademoiselle Mathilde n’existe pas, elle est juste un rôle de composition ...Mademoiselle Mathilde a disparu en l’espace d’une nuit, le rideau est tombé, fin du premier acte.

-C’est encore mieux que je ne l’imaginais, mais je me sens comme un con quand je pense aux bas que je t’ai offerts, tu dois en avoir à revendre.

-Dis-toi seulement que tu es plus perspicace que les hommes qui m’entourent, tu as su me faire sortir de ma tanière et ne serait-ce que pour cela, je ferai tout pour que tu ne le regrettes jamais. Fais moi plaisir, choisis ma tenue. »

Étrangement il avait choisi une tenue un peu particulière, exempte de glamour .Il avait misé sur l’excentricité de l’association vestimentaire.

Son premier regard avait été attiré par une jupe courte, entièrement recousu de pastilles noires, une de ces jupes des années soixante, cette période particulière où Courrège, démocratisant la jupe, avait fait de la mini-jupe l’élément phare de ses collections.

Benjamin, nostalgique et grand amateur de la célèbre série anglaise « Chapon melon et bottes de cuir », avait opté pour cette pièce insolite qu’il avait assorti à un col roulé marron et moulant, une paire de bas opaque et des cuissardes en daim noir. Il avait omis la lingerie ....

Mais, cette absence de dentelle n’avait en rien intriguée Mathilde, du moins n’en avait-elle pas fait démonstration.

« Tiens Mathilde, voilà j’ai fait mon choix.

-Ma parole Benjamin, tu veux me faire ressembler à Tara King...

-Tu ne crois pas si bien dire. Je garde un souvenir mémorable de son passage dans la série, saison six.

-Tu es incroyable...

-Non, tout simplement fan.

-Alors ok, j’endosse le rôle, n’en déplaise à mes détracteurs. Mais si tu joues au jeu des personnages, tu risques de t’y perdre avec moi.

-Je suis prêt à relever le défit. Ajoute donc ça à ta tenue. »

Il lui avait tendu une perruque brune .

« Ils ne vont me reconnaître à l’académie...elle en avait souri.

-Si cela te dérange, oublie...

-Pas le moins du monde, je suis aussi excitée qu’une jeune adolescente.

-Fais gaffe, si tu continues je vais devenir ton aîné...

- Ce serait trop drôle ! »

Elle était réapparue quelques instants plus tard, totalement méconnaissable et tellement séduisante hautement perchée sur ses talons, sa coupe mi- courte et ses yeux de biche que Benjamin avait assorti la brillance de son regard d’une insoupçonnable tension sous le coton de des caleçons.

« Tu me fais bander, Mathilde !

-Je vois, mais bon nous verrons cela plus tard, veux-tu, allons y, Dear Mister Steed.»

Elle avait peaufiné sa tenue des années sixties d’un manteau vintage et d’une touche de son parfum avant que de sortir fière et rajeunie au bras de son jeune chaperon.

La tenue de Mathilde, pour le moins inappropriée tant à l’heure matinale, qu’à la saison avait intrigué plus d’un usager dans le métro, mais la légèreté de la situation lui avait ôté tout scrupule.Tout simplement elle se sentait bien et le jugement d’autrui ne l’avait même pas effleuré. 

Elle s’était collée à lui, se tenant d’une main à la barre du wagon, et lui avait murmuré à l’oreille « je crois que je suis amoureuse de toi depuis longtemps », puis beaucoup moins tendrement : « Je dois passer dans mon bureau récupérer quelques affaires, je préfère que tu m’attendes en bas, je ferais vite.

-Ben pourquoi ?

-Benjamin s’il te plait...

-Ok, ok. »

Une moue boudeuse de petit garçon avait ponctué son approbation forcée.

Ils étaient donc rentrés séparément à l’académie. Mathilde, d’un pas assuré, s’était dirigée vers l’hôtesse.

« Bonjour Patricia, pas de message ?

-Bonjour, Madame, vous désirez ?

-Patricia, hello c’est moi Mathilde.

-Mathilde, bon sang, je ne t’aurais pas reconnue...Mais... ben écoute, j’adore !

-Merci, des messages ?

-Oui ton ex mari est passé, il a laissé une lettre pour toi.

-Christopher ?

-Ben oui je n’en connais pas d’autre. Je l’ai posée sur ton bureau...

-Qui ? Christopher ?

-Mais non la lettre avait-elle répondu en riant, je ne te reconnais pas Mathilde, toi si revêche d’habitude.

-Revêche ? Non Patricia, réservée !

-Oui si tu veux, mais ne change plus, je te préfère ainsi

-Je vais essayer...Bonne journée »

Lorsqu’elle s’était éloignée, elle n’avait pu ignorer les chuchotements qui avaient accompagné son départ. Les mesquineries féminines ne sont pas une légende avait-elle songé en montant l’escalier, à peine ai-je le dos tourné que les commérages vont bon train.

Sur le bureau trônait, bien en évidence la lettre de Christopher. Avant que de la lire, elle avait récupéré les quelques affaires dont elle avait besoin pendant son congé, son agenda, quelques partitions à travailler ...puis elle avait ouvert l’enveloppe.

Bonjour Math Chérie, ou re bonjour 

Je tenais à m’excuser pour mon comportement grossier de ce matin, mais étrangement lorsque j’ai vu ce jeune éphèbe chez toi, mon sang n’a fait qu’un tour. Je ne pensais pas que la jalousie puisse un jour m’effleurer et pourtant je dois te l’avouer, je suis jaloux.

Il n’est sûrement pas ton amant, je me suis conduit comme un con.

J’imagine ta réaction à la lecture de cette lettre, ta colère en pensant au salop que j’ai pu être avec toi, mes dépravations érotiques, mes expériences libertines renouvelées à satiété alors que je vivais aux côtés d’une vrai maîtresse femme.

Tu as raison, j’ai tout confondu libertinage et adultère, t’impliquant puis te délaissant au point que la haine s’est substituée à ton amour pour moi. Me pardonneras –tu ?

Tu me manques tant, j’ai faim de toi. Lorsque je t’ai vu ce matin dans ta nuisette, je t’aurai fait l’amour sur le champ tant mon envie était incontrôlable.

Je ne te demande pas de reprendre la vie commune, mais juste de me rejoindre à la maison du lac, ne serait-ce que pour quelques jours, pour que nous retrouvions un peu. Le temps n’est plus à la discorde ...

Je te ferai préparer la chambre bleue, celle que tu aimes tant.

 Rejoins moi, je t’aime toujours, je n’ai jamais cessé de t’aimer, mais tu as préféré me fuir, je ne me le pardonnerai jamais. Essaie d’oublier toutes mes conneries...

 Je t’embrasse

 Chrys

 Elle avait lu la lettre sans sourciller. Il était temps qu’il fasse son mea culpa, mais il avait raison de ne pas se pardonner, car elle ne lui pardonnerait jamais.

Était-il tant en manque de maîtresse qu’il fasse appel à son ex-femme. Il l’avait bafouée, alors qu’elle s’était prêtée à tous ses jeux érotiques, elle en était devenue disciple du fétichisme dans ses toilettes mais non dans la perversion, pour le suivre, puis par goût pour les situations peu conventionnelles. Puis tout avait chaviré, elle avait perdu son aura à ses yeux et tout le glamour du libertinage avait perdu son éclat au profit du dévergondage.

Orgies et autre perversions avaient remplacé les jeux de rôle guidés par l’amour, elle avait décidé de le quitter, il ne l’avait pas retenue par trop perverti par ses nouvelles et incessantes tentations. Non elle ne lui pardonnerait jamais, mais quelques jours dans La Creuse, pourquoi pas.

Après tout elle ne partait au Portugal que début juillet, cela lui donnait le temps d’aller passer une dizaine au calme à la campagne.

Elle avait balayé son bureau du regard, puis avait tiré la porte pour rejoindre Benjamin dans le hall. Il était en pleine discussion avec un groupe d’élèves, elle lui avait fait un signe de la main auquel il avait répondu un « J’arrive » comme peuvent le faire les jeunes pour vous faire patienter. Elle était sortie, avait allumé une cigarette. Elle qui s’était jurée de ne jamais reprendre, voilà que la cigarette redevenait un geste automatique. Elle avait attendu patiemment que Benjamin veuille bien la rejoindre .Il avait tardé, elle était partie, il saurait bien la retrouver.

Elle avait profité de sa solitude retrouvée pour effectuer quelques achats en vue de son prochain départ.

En milieu d’après-midi, elle avait bipé Benjamin qui ne l’avait rappelé que beaucoup plus tard

« Mathilde, pourquoi ne m’as-tu pas attendu ?

-J’ai horreur d’attendre.

-Je m’en souviendrai. Où es-tu ?

-Chez moi.

-J’arrive.

-Non écoute, je suis invitée ce soir à dîner chez un couple d’amis, je te propose que nous y allions ensemble. Passe me prendre à vingt heures

-Es-tu toujours Tara King ?

-Oui.

-Ok, je dîne avec Tara, mais je veux faire l’amour à Mathilde.

-Non, Benjamin.

-Non ?

-Ce soir c’est moi qui vais t’aimer »

 A vingt heures sonnantes, Benjamin avait tapé à la porte.

 « Es-tu prête ?

-Oui je le crois...

- Laisse-moi vérifier »

 Il avait glissé ses mains sous la jupe courte, avait planté ses ongles dans ses fesses nues, vérifiant en même temps si les dessous de dentelles n’avaient pas fait une apparition depuis leur séparation plus tôt dans la journée.

 « Te savoir nue sous ta jupe, me rends dingue.

-Je t’espère audacieux, jeune homme !

-Audacieux, je serai amoral, je te veux à ma merci. »

 L’érotisme planait autour d’eux comme des effluves magiques. Tout jeune qu’il était, Benjamin n’en était pas moins licencieux dans sa sensuelle complicité avec Mathilde. 

« Prenons un taxi, nous profiterons ainsi de la luminosité printanière de la capitale. Une bouffée d’oxygène au lieu du underground.

-Si tu veux Mathilde, je pourrais ainsi mieux profiter de notre promiscuité sur la banquette arrière. Qui sont tes amis ?

-Ce sont plutôt des amis de Christopher, elle, elle est charmante, une très belle femme un peu plus jeune que moi, lui un compagnon bambocheur de mon mari, enfin tu vois.

-Je ne vois rien, mais bon.

-Mon mari est un débauché ou était, car ce matin il m’a demandé de le rejoindre dans la Creuse.

-Et le Portugal, tu m’as dit oui Mathilde.

-Je viendrai avec toi au Portugal, mais avant je vais aller me reposer quelques temps chez Christopher.

-Je ne comprends pas, ce matin tu l’as congédié comme un malpropre et là...Je n’aime pas ça...je ne l’aime pas.

-Moi non plus, je ne l’aime plus, mais c’est comme ça et pas autrement. »

 Ils s’était tu, les colères de Mathilde ne l’intéressaient guère, il était inutile de pourrir l’ambiance de la soirée annoncée.

« Taxi », avait-elle hélé. Une chance, le premier taxi interpellé s’était arrêté.

« Place des Vosges s’il vous plait Monsieur. » 

Ils s’étaient engouffrés dans le véhicule serrés comme deux amants heureux de se retrouver.

Le regard pour le moins circonspect du chauffeur avait soudain rappelé à Mathilde la grande différence d’âge existant entre son jeune amant et elle, et l’inconvenance de la situation au regard du commun des mortels. Mais loin de la désarçonner cette position équivoque avait exacerbé ses émois du moment, à savoir une délicieuse envie de pousser plus la provocation. Benjamin peu ou pas conscient de la conjoncture érotique de l’instant, s’était laissé saisir sa main par l’audacieuse violoniste. Elle l’avait guidé, jusque sur ses cuisses largement dévoilées au regard du chauffeur qui pouvait observer la moindre réaction dans le reflet du rétroviseur. Le regard, tout d’abord fuyant et timide, s’était vite avéré scrutateur voire même inquisiteur, lorsque Mathilde, en proie aux mains de plus en plus audacieuses, s’était soudain laissée envahir par une fièvre étrange éclairant son regard d’une brillance aux reflets magiques.

A aucun moment celui-ci n’avait rien pu voir de la scène, mais juste la deviner dans les yeux égarés de sa cliente, qui pour ne rien ôter à l’érotisme de la scène, avait cherché son regard avec un aplomb déconcertant. Elle avait gagné ce duel provocateur, il avait fini par se concentrer sur la route et ses éventuelles embuches, mais non sans voir auparavant pousser l’audace de lui jeter un clin d’œil complice qui avait fait sourire Mathilde.

Elle avait réajusté sa jupe, serré la main de Benjamin dans la sienne, puis le silence s’était à nouveau installé jusqu’à l’adresse de destination.

« Voilà, nous y sommes.

-Merci, je vous dois combien.

-Non, Mathilde, laisse, je vais régler.

-Il n’en est pas question ! »

Elle avait réglé le chauffeur, qui abusivement, avait lancé un « très bonne soirée Madame » et un insignifiant « Monsieur.»

Lorsque le couple s’était éloigné, main dans la main, le taxi driver à nouveau seul dans son véhicule n’avait pu réprimer à haute voix « Ya quand même de sacrées salopes, assujetti d’un y en a qu’on d’la chance.» 

Benjamin et Mathilde avaient fait la suite du parcours à pied, Les effluves du macadam les avaient accompagnés sous les cliquetis des talons aiguilles de Mathilde.

Malgré la saison printanière, le tout nouveau couple n’avait croisé que peu de passants, à cette heure où les gens sont plus enclins à rentrer chez eux que de flâner le nez en l’air.

Les frissons de Mathilde avaient effleuré Benjamin, qui, conscient de sa frilosité l’avait resserrée dans ses bras.

Ce corps à corps plus tactile les avait naturellement conduits à s’embrasser amoureusement.

C’est ainsi mélangé, du moins dans leur esprit, qu’ils avaient sonné à la porte cochère.

« Oui...

-C’est Mathilde.

-Je t’ouvre. »

La gâche du lourd portail avait cédé, interrompant leur long baiser mouillé.

« Nous continuerons plus tard veux tu ?

-Et si je dis non ?

-Tu es la sagesse même.

-J’ai pas vraiment le choix avec toi, tu a un caractère de ...

-Oublie ...de cochonne ! »

Cette réplique abusive l’avait fait éclater de rire comme un enfant.

« Tu vois c’est ce mélange savant que j’aime chez toi, mi- homme, mi- enfant, tu me fais rire et m’émeut…Amoureuse moi, je deviens dingue ! »

Au premier étage une porte s’était ouverte sur le palier interrompant leur discussion, en quelque sorte un soulagement pour Mathilde.

« Ma chérie comment vas-tu ? »

Mathilde n’avait pas menti, leur hôte était une très belle femme, des traits fins argumentés d’une bouche pulpeuse aux lèvres presque exagérément ourlées et deux grands yeux noirs en amande. Cependant elle demeurait une belle brune qui avait cru que la blondeur artificielle de sa longue chevelure peaufinerait sa séduction. Aux yeux de Benjamin, l’erreur s’avérait fatale, elle n’était pas du tout à son goût, d’ailleurs il n’avait que peu d’attrait pour les blondes qu’il trouvait insipides face au piquant des brunes ou des rousses. Mais il n’en avait rien laissé paraître.

« Isa je te présente Benjamin, j’ai pensé que tu ne m’en voudrais pas qu’il m’accompagne.

-Mais pas le moins du monde, tu me connais, quand je mets en cuisine, on pourrait nourrir tout l’immeuble »

Elle avait tendu une main amicale à Benjamin, mais lui le plus naturellement du monde l’avait embrassée, question de génération sûrement.

Dans l’embrasure de la porte était apparue, la silhouette impressionnante d’un homme d’au moins un mètre quatre vingt dix.

« Mais que faites-vous sur le palier, entrez voyons. »

Mathilde avait devancé Benjamin et tout deux étaient entrés dans le vaste hall de l’appartement bourgeois.

« Mathilde, depuis le temps, tu es toujours aussi radieuse et même un petit je ne sais quoi en plus qui fait que tu es hum, disons très attirante.

-Merci Jacques, avait-elle répondu en lui déposant un léger baiser sur la joue, mais oublions là l’attirance, veux –tu !

-Oh, il y a de la rebelle dans l’air.

-Jacques s’il te plait Chéri ne commence pas à embêter Mathilde, où elle va à nouveau disparaître pour trois ans...

-Et donc, Mathilde, qui est ce charmant jeune homme ?

-Benjamin ...

-Mais encore ?

-Benjamin, mon meilleur élève. » 

Benjamin avait momentanément oublié la vexation d’être relégué au simple statut de meilleur élève et avait tendu une main amicale à Jacques.

« Bonsoir Monsieur ...

-Jacques, appelle moi Jacques, bien venu parmi nous mon garçon, la jeunesse est toujours bien accueilli ici, elle nous fait défaut »

Mathilde avait jeté un lourd regard réprobateur à Jacques dont la signification concrète avait échappé à Benjamin.

Isa les avait accompagnés jusque dans le salon dont le baroque de la décoration donnait une note libertine au luxe de l’appartement. En un seul instant on était transporté dans l’ambiance feutré des salons d’antan. Un mélange hétéroclite de candélabres argentés et autres tentures empourprées donnaient la réplique pèle-mêle à une bergère empire en  velours , une console harpe de laque noire ou bien encore une méridienne noire rehaussée de coussins aux couleurs vives .Une atmosphère bien étrange s’en dégageait entre libertinage et mondanité. Jusqu’au fond musical qui argumentait à merveille ce tendancieux climat, musique et chants baroques au programme. On aurait pu se croire dans un film de Stanley Kubrick, Barry Lindon dont Benjamin avait de vagues souvenirs ou encore Eyes Wide Shut La seule note contemporaine résidait dans la lumière artificielle quoiqu’étayée par quelques chandeliers disséminés ici et là et notamment deux sur la table somptueusement dressée pour le repas.

Benjamin avait fait une analyse rapide de la situation trouvant que les acteurs présents, dont lui, étaient en total décalage avec le décor presque théâtral .Il avait imaginé un instant trousser Mathilde dans les couloirs, en belle Marquise costumée, entravée d’un corset et de crinolines superposées, les seins prêts à s’échapper d’un riche tissus moiré, Mathilde poudrée , une mouche sur la pommette, en libertine patentée.

Sur cette note imaginaire, il s’était égaré songeant que cette femme devait renfermer bien des secrets inavoués pour ainsi le faire fantasmer. La soirée ne faisait que commencer et l’air ambiant par trop propice à la débauche érotique n’avait fait qu’accentuer cette attirance épidermique qu’il ressentait pour la belle intrigante violoncelliste.

Son égarement provisoire lui avait fait occulter la présence presque dérobée d’un autre convive, un homme d’une cinquantaine années dont les pouvoirs séducteurs auraient fait blêmir le pire des Don Juan .Devant lui se tenait, sourire aux lèvres, lui tendant une main amicale, le sosie trait pour trait de Georges Clooney, le préféré de ces dames toutes générations confondues si l’on en croyait les magazines féminins.

Cette présence illicite l’avait glacé, compte tenu du regard peu anodin que « Georges » avait lancé à Mathilde, un inventaire détaillé de la féminité qui était la sienne.

« Enchanté jeune homme, Angelio. »

Il n’avait rien d’un ange et son accent aux résonances italiennes rendait sa présence encore plus démoniaque qu’il n’y fallait.

« Madame, avait-il dit en s’adressant à Mathilde, vous êtes bien plus séduisante qu’on ne me l’avait annoncé.

-Mathilde, enchantée »

Elle était sous le charme c’était une évidence, alors même qu’il ne lui avait dit que trois mots...

L’endroit avait soudain perdu en ambiance pour faire place à la dualité masculine.

Tout ce petit monde s’était confortablement installé sur les canapés avant que de trinquer au retour de Mathilde depuis trop longtemps réfugiée dans la solitude.

C’était les propres mots d’Isa lorsqu’elle avait fait entrechoquer sa coupe de champagne contre celle de Mathilde. Benjamin, afin de s’affirmer avait choisi un « A nous », bien plus anodin mais très explicite au regard de Mathilde qui ne l’avait pas quitté des yeux le temps de porter le toast.

Ce détail n’avait pas échappé à Isa qui en avait logiquement déduit la nature de leur relation.

La « garcitude » féminine l’avait conduite, comme une obligation à argumenter son intuition,

« Alors dis- moi Mathilde, toujours seule ?

-Oui, la solitude est la seule compagne qui ne me trahira jamais, je vis dans l’ostracisme sentimental. »

La spontanéité de sa réplique avait coupé court à toute opportunité de divergences d’opinions, sous le regard désabusé de Benjamin, si ce n’était le tombeur italien qui avait saisi cela comme une opportunité.

« Mama mia, un cuore per prendere »

« Connard » avait songé Benjamin en avalant cul sec son verre de champagne...

Isa sentant la gêne s’installer avait mis un terme à l’apéritif en invitant ses convives à prendre place autour de la table dont Mathilde venait de prendre conscience qu’elle était dressée pour six et non cinq personnes.

« Mathilde je te laisse t’installer entre Angelio et Benjamin, Jacques assied toi en face de Mathilde ...

- Attendons-nous encore quelqu’un, Isa, je vois six assiettes.

-Oui, éventuellement, rien de moins sûr.

-Je connais ? Ne me dis pas que...

-Christopher... ?

-J’en étais sûre.

-Mais non Math, ce n’est pas Christopher, et puis c’est une fille. Te voilà rassurée ?

-Pas vraiment... »

Benjamin, n’avait pratiquement pas ouvert la bouche depuis son arrivée, dans l’expectative, analysant le comportement de chaque protagoniste.

Il avait tout d’abord repérer une angoisse palpable chez Mathilde dont il avait eu du mal à en déceler l’origine et tout naturellement, une fois assis, il avait glissé sa main sur la cuisse de son amante afin de la rassurer.

Isa s’était avéré une hôtesse accueillante, mais pour autant, il avait ressenti une soumission sous-jacente à son mari assortie d’une pointe de jalousie à l’égard de Mathilde. Il avait attribué, par déduction, ce sentiment douloureux à des souvenirs licencieux, compte tenu des regards pour le moins inquisiteur que son mari jetait sans aucune gêne à sa chère Mathilde.

Ces deux là avaient du être amants, à n’en point douter, avait songé Benjamin, et les images d’un passé trouble revenaient, sûrement, en vagues incessantes écorcher l’esprit d’Isa.

Quant à Angelio, il n’était sûrement qu’une pièce rapportée, après tout, il s’était à peine présenté, mais Benjamin ne l’aimait pas, ne l’aimait pas du tout, et de moins en moins depuis qu’il s’était installé à côté de Mathilde. Inconsciemment il avait resserré l’étreinte de sa main sur la cuisse de Mathilde, ce qui lui avait arraché un sursaut qu’elle avait eu du mal à contrôler. Elle ne tenait vraiment pas à trahir sa relation avec le jeune homme et la raison de son comportement avait totalement échappé à Benjamin. 

Mathilde, quant à elle, toujours gracieuse et souriante, avait rapidement pris conscience de la situation libertine dans laquelle elle s’était faite piégée stupidement.

Afin d’étoffer ses suspicions elle avait entamé une conversation.

« Et donc cher Angelio, vous êtes un ami de Jacques et Isa ?

- Ami, disons une connaissance, nous nous sommes rencontrés il y a peu de temps au cours d’une soirée.

-Une soirée ? »

Le bel italien n’avait pas répondu dans l’immédiat, considérant le coup de pied de Jacques sous la table comme une mise en garde à une quelconque bévue.

« Suis-je trop curieuse, avait surenchéri Mathilde ?

-Pas du tout, avait-il ajouté le temps de trouver une parade, c’était au cours d’un vernissage

-Artiste ? Ou bien tenez vous une galerie ?

-Ni l’un, ni l’autre, je suis agent immobilier et le hasard...

-Le hasard, vraiment ?

-Ne croyez vous pas au hasard ?

-Pas vraiment non.

-Je ne comprends pas ton attitude Mathilde avait lancé Jacques pour sauver la situation.

-On discute tout simplement, je ne vois en quoi mes quelques questions peuvent trahir une attitude désobligeante.

-Nous n’en savons pas d’avantage sur ton jeune accompagnateur, si ce n’est que c’est ton meilleur élève.Tu sors avec tes élèves à présent, surprenant de ta part, remarque trois ans de silence t’ont peut être changée. Je t’ai connue plus délurée si ce n’était ta tenue, je ne reconnaitrais en rien la Mathilde que j’ai connue.

-Oublie là, avant qu’elle ne t’oublie »

Afin que de mettre un terme définitif au malaise s’installant insidieusement autour de la table, Isa s’était levé subrepticement.

« Bon, je vais chercher les entrées.

-Je te suis, Isa, tu dois avoir besoin d’aide »

Elle s’était levée, avant même d’avoir une réponse et avait suivi son hôtesse.

« Avoue, Mathilde, Benjamin est ton amant, avait murmuré Isa, à peine entrée dans la cuisine. Pourquoi as-tu amené ce garçon si jeune ici ?

-Ici, c’est bien cela, rien n’a changé, dans l’antre du diable et de la débauche. Mais dis moi Isa, n’en as-tu pas assez de toutes ces conneries, c’est bien pour cela que je vous ai fuit...

-Mais de quoi parles-tu ?

-S’il te plait, pas à moi Isa, ce dîner n’a rien d’amical, cela ressemble plutôt à une mise en scène, une situation qui débouchera forcément sur de l’échangisme ou ah oui c’es vrai, vous faites dans la nuance, du mélangisme... Faudra que vous m’expliquiez la nuance car pour moi tout ça reste du cul vil et décadent. Je crois que je ne vais pas rester, Benjamin fera ce que bon lui plaira...

-Arrête Math chérie, s’il te plait, ne fais pas ça...

-Tu serais capable de n’importe quoi pour m’en empêcher, même de m’embrasser comme au bon vieux temps, quand tu confondais attirance et soumission.

-Arrête, tu deviens désagréable.

-Ouvre les yeux, tu n’as jamais agi qu’en fonction du candaulisme de ton mari, jamais pour toi, j’ai fui tout ça et m’y voici replongée bien malgré moi, comment ai-je pu être aussi stupide.

-C’est quoi ça, le candaulisme ?

-Laisse tomber. Je n’ai rien contre le voyeurisme bien au contraire, cela a un côté très excitant voire valorisant, mais en comité très restreint et de façon sensuelle, les parties fines très peu pour moi. Je n’ai que trop souffert des tribulations de Chrys.

-Mathilde, si tu as un soupçon de considération pour moi, reste s’il te plait

-Ma pauvre Chérie te voilà au paroxysme de ta soumission. C’est d’accord je reste, pour toi et un peu pour Benjamin,

-Benjamin, que vient-il faire la dedans ?

-Il est mon amant, c’est vrai, depuis peu, et je suis en train de redécouvrir l’amour. »

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Vous venez de lire le 3ème extrait de Miss Dior. Relisez le premier extrait ici et le deuxième .

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Y a-t-il vision plus excitante que celle d'une "jeune fille modèle" qui se lâche ?