Jérôme le magnifique (4/4)

Jérôme le magnifique (4/4)

Publiée le 30 décembre 2014  

A lire ou à relire :

Première partie
Deuxième partie
Troisième partie 

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 « Mademoiselle ! Mademoiselle ! » Nina émerge de sa rêverie sous les yeux goguenard du jeune homme qui contrôle les invitations à l’accueil de la galerie d’art. Elle présente son carton dont le QR code est prestement scanné, sésame indispensable pour assister à cette exposition sponsorisée par Swingame, qui s’est attaqué au marché du libertinage avec ses applications customisées début 2016. C’est justement une d’entre elles que Nina doit maintenant installer sur son smart-phone, afin d’accéder aux cartels virtuels des œuvres exposées, lui explique le jeune homme de l’accueil, entre autres subtilités libertines. Aussi l’application invite Nina à remplir un bref questionnaire sur ses goûts et tendances sexuelles, si tant est qu’elle les connaisse vraiment. Jusqu’à cette après-midi, Nina n’avait jamais supposé avoir des tendances exhibitionnistes.

Pourtant, après l’épisode du club libertin dont elle était victorieusement sortie l’anus orné d’un rosebud, la voix de Jérôme l’avait conduite dans un club de strip-tease où elle avait éprouvé un certain plaisir à exhiber ce bijou, ce qui lui avait valu son carton d’invitation à l’exposition. Quel autre vice vais-je encore découvrir ? songe Nina en traversant le rideau pourpre.

Tout au long de la galerie d’Art, dont le large vestibule serpente sur deux niveaux autour d’un patio vitré, sont exposées tout un tas d’œuvres disparates : des gravures à l’eau forte, des bronzes antiques, des photos en noir et blanc, des mobiles en papier mâché, des séquences audio à écouter, des petits films à visionner, et tout, absolument tout est libidineux. Le public, plutôt jeune, déambule sans gêne apparente entre les phallus en carton, les moulages de vulves, les photos de bordels du XXe siècle, au son des cris enregistrés d’une femme en plein gang-bang.

À mesure que Nina avance dans la galerie, les cartels des œuvres défilent sur son portable, et quand elle s’approche d’une d’entre elles, sa fiche apparaît au premier plan. Comme sur les réseaux sociaux, elle est invitée à dire si elle aime ou pas, en accompagnant éventuellement son avis d’un bref commentaire. Alors qu’elle examine une étrange sculpture de Hans Bellmer intitulée Les jeux de la poupée, s’affiche soudain la fiche descriptive d’un autre visiteur. C’est celle de l’homme dégarni, falot, sans charme particulier qui contemple cette même œuvre, mais observe surtout Nina en souriant. Elle apprend ainsi que Laurent est comédien, bisexuel, avec de vagues tendance sadomasochistes et une prédilection pour le bondage. A-t-il sous les yeux ma fiche ? se demande Nina en fermant celle de Laurent. Toujours est-il qu’il finit par s’éloigner, visiblement déçu, avant d’embrayer sur une certaine Séverine en robe de latex.

Au détour d’un couloir, Nina accède au patio vitré où se joue une surprenante performance : un jeune éphèbe blond étendu sur une table, entièrement nu, a le corps parsemé de sashimi. Chaque visiteur s’avance l’un après l’autre, attrape une tranche de poisson cru directement avec la bouche sur la peau de ce plateau vivant, puis prend avec des baguettes une nouvelle tranche sur un plateau voisin, pour le disposer à sa guise sur le corps de l’éphèbe impassible, ou presque. Selon la personne qui s’avance, le jeune homme dont les sens sont mis à rude épreuve par tant de baisers plus ou moins involontaires, finit par témoigner une certaine excitation. Ainsi Nina peut constater de visu que cet homme n’est pas insensible à sa mise apparemment austère. Elle tente de saisir entre ses dents une tranche de saumon cru, mais lui mordille incidemment le téton gauche. L’éphèbe ne peut alors retenir un soupir, ni son érection manifeste. Nina dépose une tranche de thon sous son nombril. Qui sait si la prochaine visiteuse n’aura pas envie de mordiller autre chose. Sur son portable apparaît la fiche de l’artiste, Youri, amateur de BDSM. Elle aime.

Peu à peu, Nina s’enhardit. Elle regarde de moins en moins les œuvres et de plus en plus les autres. Elle s’approche de ceux qui lui plaisent, découvre leurs tendances et leurs désirs. Elle zappe bien souvent les profils mais hasarde parfois un « j’aime ». C’est justement le cas auprès d’Aldo, à l’élégance toute italienne, mais à peine a-t-elle émis son jugement qu’elle sent son téléphone vibrer, ainsi que le rosebud qui lui dilate l’anus. Aldo se tourne vers elle, l’attraction réciproque ayant aussi entrainé la vibration de son smart-phone, dont l’écran affiche encore le profil de Nina.

—     Vous êtes charmante mademoiselle ! lance-t-il comme une formule magique.

—     Merci, répond Nina en pensant que la technologie ne donne pas plus d’esprit aux sempiternels dragueurs de rue.

—     Vous êtes aussi venue pour le bêta test de l’application de rencontre libertine Swingame ?

—     Pas vraiment, j’attends quelqu’un, je suis désolée…

—    Vous avez mon contact, n’hésitez pas à m’appeler pour prendre un verre, et sans doute plus puisqu’il y a affinités, ajoute-t-il avec un clin d’œil appuyé.

Dès lors qu’il s’est éloigné, les vibrations cessent. Autour de Nina, des groupes se forment par affinités sensuelles, et l’ambiance érotique du lieu finit par pénétrer les esprits. Ainsi une grande brune en robe rouge, entre deux âges et deux hommes, les yeux rivés à un stéréoscope de table pour visionner d’antiques photos érotiques en relief, se fait peloter chaque fesse par ses deux sigisbées de part et d’autre. Ils lui troussent bientôt la robe, dévoilant sa croupe à l’assemblée. Loin de s’en effaroucher et plus que jamais absorbée par ses vues stéréoscopiques, elle se cambre pour mieux être caressée, doigtée, léchée maintenant par les deux hommes empressés. Nina ne peut pas non plus détacher ses yeux de cette scène obscène, de cette femme aux jambes écartées, tendues, les talons de ses escarpins plantés au sol comme les pointes d’un compas, et de ces deux hommes agenouillés entre ses cuisses, un devant, un derrière, qui lui lèchent les deux orifices de concert. La grande brune vacille, ses jambes tremblent, elle s’accroche à l’appareil et finit par jouir à grands cris. L’orgie est déclarée. Tout n’est plus que désordre et voracité, stupre, luxure et volupté.

Déferlement soudain de tensions trop longtemps contenues au bord du coït, de verges tendues, de rose déplié, de marques de string qui exhibent l’ampleur d’une fesse nue, de mains calées aux hanches dévoyées. Les Fricatrices, Fragonard. Cheveux bruns, touffeurs blondes, lèvres carmines sur petites lèvres baveuses qui se dépiautent dans les relâchements de cyprine sous la langue qui progresse et se tord, écarte et déplie, mouille et lâche des filets de bave jusqu’à l’anus à l’abandon. Jeune fille à genoux sur les deux coudes appuyés, Egon Schiele. Opulente nudité qu’on ouvre jusqu’au mauve de l’œillet, qu’on défronce dans le blanc des fesses offertes, au fin duvet qui frise aux ourlets de la vulve qu’on défoncera aussi avec pertes et fracas dans des saccades de sperme. L’insurrection, Joël Person. Séverine, robe de latex et gode ceinture lustré de salive et de sueur au cul dilaté de Laurent, comédien agenouillé, nu et comblé aux deux embouchures, lèvre pédante et béante dans l’attente du secouement d’Aldo, faute de mieux. Gygès et la femme de Candaule, William Etty.

Debout, jambes tendues légèrement écartées, cambrée à l’excès, robe moulante relevée jusqu’à la taille en chiffonnade de parme, avec derrière elle, rivés au bassin, des reins d’airain, pantalon aux chevilles, et devant le mari statufié d’émotions, peur, jalousie, excitation, amour aussi dans ses yeux à elle qui vacillent quand elle pose ses mains sur la nuque du vieux pour soulager sa position : « Je t’aime » semble-t-elle lui dire du bout des lèvres silencieuses, et lui il tremble car sa femme lui transmet les secousses de l’amant. Des vibrations au creux des reins. Nina émerge hébétée de la contemplation impressionniste, seule au cœur de la multitude grouillante de désirs, et d’amours aussi. Il n’y a que Jérôme pour la faire vibrer ainsi.

 Nouvelle de Vagant, auteur de Sans vain coeur ni vain cul et du blog Extravagances.

Illustration Gygès et la femme de Caudale de William Etty.

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